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elle ne rabaisse pas la gloire d’un Kepler ou d’un Newton ; elle rehausse et ennoblit les efforts en apparence les plus obscurs, en montrant qu’ils préparent et facilitent les découvertes de l’avenir. C’est aujourd’hui surtout, à une époque où l’on s’habitue trop aisément à mesurer l’importance de toute chose par les avantages directs qu’on peut en retirer, qu’il importe de rappeler ces vérités. Le géomètre inconnu au vulgaire, qui passe sa vie à combiner des symboles, peut, par l’heureuse solution d’une difficulté analytique, donner un guide nouveau aux sciences d’observation, et les conduire aux plus importantes découvertes. Il ne faut pas que les merveilles de l’industrie fassent oublier les travaux de l’ordre purement scientifique. Croit-on que l’histoire de la mécanique soit celle de toutes ces machines dont le nombre ne peut déjà plus être compté, qui suppléent l’homme en toute chose, et travaillent partout pour lui ? Ne faut-il pas savoir en premier lieu par quelle série d’efforts on a découvert les lois du mouvement, se familiariser avec ces grands principes qui règlent l’action et la réaction des diverses parties d’un mécanisme, quelle qu’en soit la nature ?

L’histoire scientifique contribuerait puissamment à éclairer les esprits en les élevant vers les nobles origines de nos connaissances, en leur apprenant le prix des études abstraites, en les accoutumant à ne pas mesurer la gloire par l’utilité du moment ; mais à qui serait-elle plus utile qu’aux savans eux-mêmes ? Ils y apprendraient à se défier des systèmes, en voyant avec quelle facilité le temps les emporte devant lui ; ils verraient sous l’empire de quelles erreurs l’esprit humain a fait fausse route, comment il s’est trouvé ramené vers la vérité ; ils se fortifieraient contre l’opposition jalouse qui accueille en tout temps les idées nouvelles. En retrouvant dans les ouvrages de l’antiquité comme un pressentiment confus de presque toutes les grandes découvertes, ils sentiraient avec plus de force qu’il ne faut toucher légèrement à aucun sujet, et que la nature n’accorde ses secrets qu’à ceux qui les lui arrachent à force de patience et d’efforts.

Outre l’intérêt pour ainsi dire spécial qui s’attache aux études d’histoire scientifique, il en est encore un autre qui tient moins aux objets de la science elle-même qu’à ses rapports avec le temps et les hommes : c’est cette partie de leur tâche que les historiens des sciences ont presque toujours le plus négligée, quand ils ne l’ont pas complètement omise. On ne connaît cependant qu’à demi l’histoire des sciences, quand on ignore dans quelles circonstances, favorables ou contraires, elles ont accompli leurs progrès. Dans les études de M. Biot, Galilée, persécuté pour ses découvertes, ne forme-t-il pas un contraste plein d’enseignemens avec Newton, comblé