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Le dédain de M. Biot pour les services que Newton a pu rendre comme homme public n’a rien d’exceptionnel ; il est, on peut le dire, systématique. M. Biot ne perd pas une occasion de montrer que ceux qui cultivent les sciences doivent soigneusement éviter de s’égarer dans le domaine de la politique. Il leur interdit de descendre de ces lieux élevés dont parle en si beau langage le poète latin : sapientum templa serena. Les titres les plus nombreux, les plus brillans à l’admiration de la postérité ne peuvent les absoudre d’une participation même momentanée aux affaires publiques. Il voit dans une abstention prudente la seule garantie de l’indépendance, la seule sauvegarde de la dignité. Celui qui se mêle au mouvement de son temps compromet son repos, sa gloire, sacrifie des biens véritables à des biens éphémères, des conquêtes éternelles à des conquêtes d’un jour. En traçant dans son discours de réception à l’Académie française les caractères du vrai savant, M. Biot disait : « Celui qui se sera voué à ces études contemplatives avec une passion profonde et sincère s’y trouvera aussi complètement dispensé de prendre part aux affaires publiques que s’il vivait dans Saturne et dans Jupiter. » Qui pourrait dire que Newton ne se soit pas voué à l’étude du ciel avec une passion profonde et sincère ? Il ne se crut pourtant pas dispensé d’être un whig. Voudrait-on vivre comme dans Jupiter et dans Saturne, il y a des événemens qui nous rappellent durement que nous sommes sur la terre. M. Biot pouvait-il l’oublier quand il se trouvait, comme il le raconte dans ce livre même, durant les sanglantes journées de juin, au Collège de France « enfermé durant deux jours et deux nuits, entouré de feu et de mitraille, attendant le pillage et l’incendie ? » Suffit-il de déplorer d’aussi épouvantables catastrophes, d’élever des plaintes éloquentes et découragées sur l’abaissement de son temps ? De tels événemens seraient-ils possibles, si les devoirs politiques étaient pratiqués par tous, et si l’on n’en était exempté par rien, même par le génie ? On ne s’est jamais avisé de reprocher à Franklin, dont M. Biot donne aussi dans ses Mélanges l’intéressante biographie, de n’avoir pas consacré tous ses instans à l’étude de l’électricité et d’en avoir fait servir quelques-uns à l’affranchissement de son pays. La France ne doit pas regretter que Carnot ait pour un temps abandonné ses recherches mathématiques afin d’organiser la défense nationale. Les sciences n’ont peut-être jamais reçu une plus vive impulsion que pendant cette période troublée de notre histoire. C’est que l’esprit est une puissance indépendante : il souffle où il lui plaît et quand il lui plaît, il conserve sa puissance et parfois prend plus de ressort au milieu des plus terribles agitations. Celui dont une pensée, une passion profonde s’est emparée, la promène partout avec lui, dans le bruit comme dans la solitude, dans les camps