Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ses illustres protecteurs de propager des doctrines impies et dangereuses pour la religion.

Dans l’histoire de cette triste controverse, M. Biot a montré peu d’indulgence pour Newton. La plupart des biographes s’aveuglent sur les défauts et les imperfections de ceux dont ils racontent la vie ; leur ton est constamment apologétique, et leur admiration déréglée s’applique indistinctement à tous les actes où leur héros a pris la moindre part. Sir David Brewster par exemple est de ce nombre, mais personne ne pourra faire un semblable reproche à M. Biot. La crainte de s’aveugler sur des défauts et des erreurs l’a, ce nous semble, quelquefois entraîné à en exagérer la gravité, et l’on éprouve, il faut l’avouer, une impression assez pénible en le voyant prendre tant de peine pour rabaisser le caractère du même homme dont il a tant exalté le génie. Il est malheureux que la timidité naturelle de Newton et ses habitudes de mystère l’aient entraîné dans des voies souterraines, quand il lui était si facile de se défendre hautement : comme il arrive presque toujours, ses précautions contre ses ennemis lui ont plus nui que ses ennemis eux-mêmes. Ajoutons que si, dans sa lutte contre Leibnitz, il se laissa emporter jusqu’à l’injustice, si dans une autre circonstance il eut quelques torts envers Flamsteed, Newton fit preuve pendant sa vie entière, dans ses relations habituelles avec ses maîtres, ses collègues, ses élèves, d’une parfaite loyauté, d’une modestie scientifique qui allait jusqu’au désintéressement.

Il est un autre point sur lequel on hésitera plus encore à partager l’opinion de M. Biot : je veux parler de la prétendue folie de Newton. Quand M. Biot écrivait, en 1816, sa première notice, on ignorait encore toute l’étendue des travaux auxquels Newton s’était livré après la publication de la première édition des Principes. M. Biot s’étonnait de voir que « depuis cette époque, en 1687, à l’âge de quarante-cinq ans, ce génie si éminemment inventif n’eût plus donné de travail nouveau sur aucune partie des sciences et se fût borné à faire connaître ce qu’il avait composé avant cette époque, d’après d’anciens manuscrits, quelquefois imparfaits, qu’il n’avait pas le courage de compléter. » Ce qui lui paraissait « un mystère » lui sembla expliqué par une note écrite de la main de Huyghens, et trouvée dans la bibliothèque de Leyde. Dans cette note, aujourd’hui bien connue, on voit qu’Huyghens apprit d’un Anglais que Newton était tombé en démence, soit par suite d’un trop grand excès de travail, soit par la douleur qu’il eut d’avoir vu consumer par un incendie son laboratoire de chimie et plusieurs manuscrits importans. Cette étrange révélation causa un étonnement général et donna lieu aux plus étranges commentaires. Comme Newton avait publié après l’Optique et les Principes de grands ouvrages théologiques, certains esprits crurent