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plus illustres, ont abaissé leur caractère en entreprenant de ravir à d’autres le fruit de longs travaux, ou en se défendant contre leurs rivaux par d’indignes moyens ! Qu’y a-t-il de préférable, la publicité actuelle, ou les précautions dont s’entouraient les grands savans des siècles passés ? Ils enfermaient dans de mystérieux anagrammes le secret de leurs découvertes, communiquaient les résultats de leurs recherches sans indiquer par quelle méthode ils y étaient parvenus, cherchaient à étonner et à confondre leurs contemporains plutôt qu’à les instruire. Ces habitudes de mystère et de défiance nous paraissent aujourd’hui presque inexplicables ; mais on peut s’en rendre compte par plus d’un motif : elles n’avaient pas seulement pour cause la jalousie scientifique, il faut encore se rappeler que la crainte des autorités spirituelles retint longtemps la science dans le mystère et l’isolement. Quelques exemples éclatans montrèrent dès le début contre quels adversaires les vérités nouvelles, qui ne dépendaient que du raisonnement et de l’observation, auraient à lutter. La condamnation du système de Copernic fut la déclaration de guerre de l’église à la science : peu après, l’arrêt qui frappa Galilée consterna tous les savans, qui se sentirent frappés avec lui, et s’accoutumèrent à éviter le bruit avec autant de soin qu’on en met quelquefois à le rechercher aujourd’hui. Parmi les nombreux chapitres de l’ouvrage de M. Biot, il n’en est pas de plus intéressant que celui qu’il consacre à la vie et au, procès de Galilée. C’est aussi celui pour lequel il a eu occasion d’utiliser les documens les plus nouveaux et les moins connus. On peut suivre en quelque sorte heure par heure, dans le récit animé de M. Biot, toutes les péripéties de ce procès mémorable, qu’il appelle avec raison un grand drame philosophique, et qui restera toujours une des dates solennelles de l’histoire de la papauté en même temps que de l’histoire des sciences. S’attacher, sur les pas de M. Biot, à ce mémorable épisode, ainsi qu’aux incidens d’une autre grande carrière scientifique, celle de Newton, ce sera montrer l’histoire des sciences sous son plus noble aspect peut-être, comme l’instructif et l’indispensable auxiliaire de l’histoire même de la civilisation.

Après la barbarie du moyen âge, l’Italie vit, avant toutes les autres nations, renaître les études scientifiques dans ses couvens et ses académies : l’église les encourageait puissamment, et rien ne faisait prévoir les sévérités dont Galilée fut la célèbre victime. L’église avait, comme on sait, adopté les doctrines d’Aristote ; mais dès le milieu du XVe siècle les idées platoniciennes avaient conquis des partisans considérables. À l’encontre d’Aristote, le cardinal Nicolas de Cusa avait, longtemps avant Copernic, nié l’immobilité de la terre ; il pensait encore à la vérité que le soleil tourne autour de notre planète, mais il croyait que tous deux sont emportés d’un