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n’est donc qu’un acheminement à la liberté, et n’a d’utilité sans elle qu’au point de vue égoïste du souverain. Rendons grâces à Balbo d’avoir présidé à cette agitation amoureuse, selon le beau mot d’un prêtre italien, à ces sollicitations affectueuses et opiniâtres dont le pape fut l’objet durant quinze ans, rendons-lui grâces d’avoir préparé la leçon donnée par Pie IX sur la possibilité d’un libéralisme pontifical ; mais reconnaissons que sa timidité, louable, habile, nécessaire de son temps, n’est qu’un compromis sans valeur définitive, consenti pour amorcer, si je puis dire ainsi, un pouvoir froid qui ne voulait pas prendre feu. Il pourra advenir que cette politique timorée, imaginée pour contenter tout le monde, cessant d’être de saison, ne soit plus qu’un enfantillage, parce que chacun sait que la liberté doit suivre de près l’indépendance, et une maladresse fatale parce que, pour ne gagner que la moitié du principe, on met en jeu le principe tout entier.

En pratique, il en est de même. Balbo se renferme dans un projet étroit, parce qu’il ne veut outre-passer qu’après dispense dûment obtenue les empêchemens qui l’entravent. Disons bien notre pensée : le courage civil ne manquait pas plus à Balbo que la bravoure à Charles-Albert[1] ; mais ce courage ne pouvait se passer de l’assentiment formel et personnel de l’église, auprès de laquelle l’écrivain avait d’ailleurs à faire oublier sa participation à la déchéance de Pie VII. Tous ceux qui embrassent la politique romaine ont deux souverains, et se trouvent placés entre les lois de l’état et les anomalies canoniques. Les uns obéissent avant tout à celles-ci, et deviennent des citoyens difficiles ; les autres, plus consciencieux, passent leur vie dans un travail herculéen de conciliations souvent impossibles. Ce dernier parti, que prennent les hommes de cœur, impose, dans les cas de conflit entre les deux pouvoirs, des déguisemens utiles, des réticences avisées ; mais le contrôle des faits dévoile bientôt toute dissimulation même profitable, et venge la vérité contre l’autorité abusive qui a forcé les âmes honnêtes à taire une partie de leur pensée : témoin César Balbo, qui, préoccupé de Milan plus que de Turin, essaie d’acheter l’expulsion des barbares par des concessions qui sont en réalité l’intronisation du pouvoir temporel du pape dans le royaume de Sardaigne. Tant que la liberté ne sera pas profondément enracinée dans les lois, les projets d’indépendance

  1. Balbo savait qu’il courait quelque danger en faisant imprimer à l’étranger les Speranze. Il demanda à ses enfans s’ils étaient prêts à subir les conséquences de cette publication : leur réponse fut ce qu’elle devait être. — Il était colonel et chevalier de l’ordre civil de Savoie. L’Autriche pouvait embarrasser le roi pour un livre aussi provocateur, écrit par un homme presque officiel. Il offrit généreusement à Charles-Albert de renoncer à son grade et à sa croix : le roi refusa, et le livre parut.