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une réunion d’évangéliques établis à Bagdad pour y annoncer la bonne nouvelle. Déjà toutefois il était dissident au fond du cœur ; il se sentait séparé de son église par le besoin de donner à sa foi un autre fondement qu’une adhésion préméditée à une tradition officiellement obligatoire, et par sa répugnance à se payer des premières raisons venues pour endormir sa conscience. Pendant les deux années qu’il passa en Asie, son commerce avec les infidèles, le spectacle de leur inflexibilité religieuse, la difficulté de les ébranler et de faire à leurs questions des réponses avouées par l’universalité des chrétiens le troublèrent dans son respect et dans sa confiance de serviteur de l’église. En présence du monothéisme rigoureux de l’islam, il se sentait entraîné à concevoir la divinité du Christ comme dérivée de celle du Père, conception qui subordonnait l’un à l’autre, et dont il croyait apercevoir les élémens dans le symbole même de Nicée. On ne s’étonnera pas que, revenu en Angleterre, il ait trouvé un froid accueil dans le clergé, quoiqu’il ne puisse s’expliquer encore la réputation d’hétérodoxie qui avait précédé son retour. Par des causes qu’une connaissance plus exacte des caractères éclaircirait sans doute, il paraît qu’il rencontra autour de lui une défiance hostile, une répulsion hautaine, qui contribuèrent fort à le refouler dans l’asile de la conscience individuelle. Le mouvement tractarien avait commencé ; son frère était lancé dans une série d’idées et de transformations qui supprimait entre eux toute possibilité d’entente et d’influence réciproque, quoiqu’à mesure qu’il s’est plus approché du catholicisme, il paraisse avoir témoigné à la brebis égarée une plus fraternelle bienveillance. Il est probable que chacun d’eux sait aujourd’hui un certain gré à l’autre d’avoir franchi les stations intermédiaires pour se porter à l’extrémité de la ligne qu’il suivait, bien que chacun d’eux ait marché dans un sens directement opposé. La même divergence, fondée peut-être sur des analogies d’esprit, s’est manifestée entre deux autres frères, MM. Froude, dont l’un vient de se recommander au public par une histoire d’Angleterre depuis la chute de Wolsey jusqu’à la mort d’Élisabeth, écrite avec talent dans un système nouveau[1]. Ces exemples ne doivent pas être rares. Le puseyisme doit à la fois recruter le catholicisme et l’incrédulité.

Quoi qu’il en soit, M. Francis Newman ne pouvait plus songer à retourner en Orient. Comment aller prêcher un christianisme divisé

  1. M. Froude est l’autour d’un roman religieux et sceptique, la Némésis de la foi, qui a fait une certaine sensation en 1849, et que plusieurs de ses camarades d’Oxford ont honoré d’un auto-da-fé. En conservant des opinions très indépendantes, il sera peut-être rentre jusqu’à un certain point on grâce avec l’église d’Angleterre par la maniére dont il raconte l’histoire de son fondateur Henri VIII.