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jour il ne sera pas un des squatters les plus hardis et des settlers les plus riches de l’Australie ?

Les settlers et les squatters sont deux classes d’hommes qui, suivant des modes d’existence divers, et au milieu de rivalités qui ne sont pas éteintes, ont beaucoup aidé l’une et l’autre au développement colonial. Les premiers sont des colons réguliers légalement établis sur des terrains qu’ils mettent en culture ; les autres sont des sortes de pasteurs menant avec eux de grands troupeaux, et marchant à la découverte des terres arables et des pâturages. Ils occupent ainsi de leur seule autorité, et sans titre légal, des terrains non encore colonisés. Le nom qui leur est appliqué comportait dans l’origine l’acception d’aventuriers et de vagabonds. Les conditions de leur existence ont été autant que possible régularisées : tout le Victoria est divisé en un millier de stations où se dressent les fermes et les habitations des squatters, et qui sont comme le centre de leurs pérégrinations. Ils paient à la colonie 10 livres par an pour le parcours nécessaire à quatre mille brebis, et obtiennent ainsi à titre de bail des territoires pour un temps qui varie d’une à quatorze années. Ils n’ont pas le droit de vendre les produits tels que bois et récoltes. Les settlers ne voient pas sans jalousie l’extension considérable que prend souvent la fortune de leurs aventureux rivaux ; ils prétendent que ces hommes mettent obstacle à l’exploitation et à l’acquisition régulière du sol. Cependant on ne peut pas nier les services que les squatters ont rendus à l’Australie ; ils reculent de plus en plus les limites de la colonisation, et si, comme on peut l’espérer après les belles découvertes de M. Gregory, le nord du continent parvient à être rattaché aux colonies de l’est, c’est à ces nomades que sera due sans doute cette nouvelle conquête sur la barbarie.


III

Bien des personnes peuvent se souvenir d’avoir vu à l’exposition de 1855, dans les galeries supérieures du Palais de l’Industrie, au milieu des productions envoyées par l’Australie, les portraits de grandeur naturelle de deux indigènes. Leurs traits étaient grossiers, moins cependant que ceux des nègres d’Afrique, leurs cheveux formaient des mèches épaisses non laineuses, leur peau était sombre et luisante sans être absolument noire. L’homme, avec ses yeux enfoncés dans leur orbite, avait un aspect farouche ; ses épaules et sa poitrine paraissaient ne pas manquer de vigueur. Le visage de la femme était humble et craintif, et la physionomie de tous les deux se montrait également dénuée du rayon d’intelligence sans lequel l’homme, mal armé contre la nature, tombe aux derniers rangs de la création.