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REVUE DES DEUX MONDES.

directs de Weber et de Mozart, dont le dernier fils, Charles Mozart, est mort en octobre 1858 aux environs de Milan. Cet acte de haute libéralité, digne d’une société littéraire qui représente l’art dramatique de la France, a rencontré deux seuls contradicteurs, qui ont protesté contre l’emploi que la commission a cru devoir faire de l’argent produit par les chefs-d’œuvre de Weber et de Mozart, en accusant la commission d’avoir outre-passé ses pouvoirs. La commission, par l’organe de M. Mélesville, a fait un rapport de ce curieux incident à l’assemblée générale des auteurs et compositeurs dramatiques, qui, par une chaleureuse acclamation, a sanctionné sa noble initiative. Nous croyons que le monde musical nous saura gré de porter à sa connaissance un fait aussi honorable pour l’esprit et les tendances généreuses de notre temps, qui n’est pas gâté par les panégyristes.

Le fils de Mozart qui vient de mourir a reçu avec une grande joie la somme de neuf mille francs que lui avait envoyée la société des auteurs et compositeurs dramatiques. Il n’était pas dans le besoin, comme on l’a dit dans quelques journaux : ancien employé du gouvernement autrichien, le fils de Mozart avait une pension de retraite qui, ajoutée à quelques économies, suffisait à sa modeste existence. Il a laissé plusieurs legs au Mozarteum de Saltzbourg, sorte de musée consacré à la mémoire du plus exquis des grands musiciens que le monde ait produit. J’ai connu dans ma jeunesse ce fils de Mozart ; c’était à Milan, en 1817, lorsque Rossini faisait retentir le grand théâtre de la Scala de son beau chef-d’œuvre la Gazza ladra. Introduit dans une grande famille de la ville, je fus présenté au fils de l’auteur de Don Juan, qui voulut bien m’accompagner au piano l’air de Tancredi : Di tanti palpiti. — Je me rappelle non sans émotion qu’après avoir terminé mon morceau, le fils de Mozart, dont la figure respirait la bonhomie, me caressa la joue du revers de la main en disant : Bravo, abbiate giudizio, e andara bene (bravo, soyez sage et tout ira bien). Qui sait si le contact de cette main ne m’a pas inoculé le germe de l’admiration que m’inspirent le génie divin de Mozart et celui de tous les maîtres qui marchent dans sa voie ! Ah ! le culte de la beauté a ses superstitions comme tous les autres.


P. SCUDO.


ESSAIS ET NOTICES
Histoire de l’Ornementation des Manuscrits, par M. Ferdinand Denis. — L’Imitation de Jésus-Christ. — Le Livre d’Heures de la reine Anne de Bretagne, édition L. Curmer.


L’histoire de l’ornementation des manuscrits est liée d’une manière étroite à l’histoire même de la culture intellectuelle au moyen âge. Ce n’était pas un art frivole, celui qui embellissait avec tant de soin les œuvres écrites de la pensée humaine, qui les entourait en quelque sorte d’un cadre magique pour mieux en marquer le prix et inviter le lecteur à y revenir. Que de fois les gracieux dessins d’un illuminator inconnu ont éveillé le goût de l’étude chez les naïves imaginations des temps barbares ! Un jour, au IXe siècle, un jeune prince anglo-saxon, celui qui devait plus tard s’appeler Alfred le Grand