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s’adora, avec la conclusion vigoureuse qui le termine ; le joli chœur de femmes au second acte, si bien accompagné par la flûte, qui l’enjolive d’arabesques délicates ; la cavatine de Bianca, le premier duo des deux femmes, le quintette et le finale ; au troisième acte, la prière, l’air de baryton, le second duo entre les deux rivales réconciliées, surtout l’andante : Dolce conforto al misero, etc., le trio et la scène dernière. L’exécution d’il Giuramento est aussi bonne que possible au Théâtre-Italien. Mme Penco a de beaux élans dans le rôle si dramatique d’Éloïsa ; Mme Alboni déploie dans celui de Bianca la magnificence de son bel organe et sa riche vocalisation ; M. Ludovico Graziani se fait justement applaudir dans le rôle difficile de Viscardo, qui fut chanté à Naples par ce pauvre Adolphe Nourrit quelques jours avant sa mort déplorable. Les chœurs et l’orchestre se font remarquer par une grande précision qui contribue beaucoup au succès, désormais incontestable, qu’obtient l’œuvre si remarquable de M. Mercadante.

Il Giuramento restera au répertoire du Théâtre-Italien. Il serait à désirer que la direction qui a fait connaître au public cette belle partition fit d’autres choix dans l’œuvre considérable du maître napolitain. M. Mercadante a beaucoup écrit, et l’on cite parmi ses opéras-bouffes les mieux réussis, après son chef-d’œuvre d’Elisa e Claudio, la Donna Caritea, qu’il a composée à Venise en 1826. Nous ne voulons rien exagérer. La carrière de M. Mercadante est marquée d’hésitations et de tâtonnemens. On le voit d’abord fortement attiré par l’éclat que jette le génie de Rossini, dont il imite la manière dans son chef-d’œuvre, Elisa e Claudio. A l’arrivée de Bellini et de Donizetti, M. Mercadante modifie de nouveau sa manière et se forme ce style un peu complexe qu’on remarque dans la partition d’il Giuramento, où l’imitation discrète des maîtres allemands tels que Haydn, Mozart et Weber, se combine avec cette sentimentalité pénétrante, mais un peu monotone, qui prévaut dans l’école italienne depuis le silence de Rossini. S’il est juste de dire que les exemples de la Lucia, de Lucrezia Borgia et d’Anna Bolena de Donizetti, de la Norma et d’ i Puritani, de Bellini, ont pu contribuer à la dernière évolution qui s’est opérée dans le beau talent de M. Mercadante, il faut reconnaître aussi que c’est dans la partition d’il Giuramento que M. Verdi a pris les élémens de sa propre manière. Seulement M. Mercadante est un maître dans l’art d’écrire ; c’est le digne chef d’une école illustre qui n’aurait qu’à suivre ses conseils pour reprendre le haut rang d’où elle est déchue depuis tant d’années.

Le théâtre de l’opéra est toujours dans le même état. On y donne des banquets aux danseuses qui ne sont plus, sans doute pour consoler le public de celles qui ne sont pas encore. C’est toujours le même répertoire, les mêmes choristes qui rient en chantant faux, les dames du corps de ballet faisant la conversation avec la belle jeunesse qui trône dans les loges d’avant-scène, un orchestre qui se démène comme aux premiers jours de sa création, et dont le chef est obligé de battre la mesure comme un maître d’école enseignant aux petits enfans les élémens du solfège. Voilà le spectacle que donne, trois fois par semaine, le premier théâtre du monde, à ce qu’ils disent : ils n’ont qu’à franchir le Rhin et aller au théâtre grand-ducal de Carlsruhe un jour qu’on y donnera l’Iphigénie en Aulide de Gluck, ou tout autre chef-d’œuvre que la France a vu naître, pour apprendre ce que c’est