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d’un très beau sentiment; mais l’allegro ou second mouvement de cette cavatine est un lieu-commun de cantatrice qui n’a même pas le mérite de l’originalité, puisqu’il est pris dans la Semiramide de Rossini. Le duo pour deux voix de femme entre Éloïsa et Bianca, qui se reconnaissent sans se douter encore qu’elles sont rivales, renferme de beaux passages, particulièrement la phrase que chante Bianca pour apaiser le courroux d’Éloïsa contre celui qu’elles aiment toutes deux :

Ma s’è ver che voi l’amate,


phrase pleine de tendresse qui forme une opposition très dramatique et très musicale, ce qu’il ne faut pas oublier, avec les élans de fureur que laisse éclater Éloïsa. Le quintette qui prépare si heureusement le finale est peut-être écrit d’une harmonie trop serrée, qui ne laisse pas suffisamment d’espace aux différentes voix pour circuler à l’aise ; il rappelle d’ailleurs un peu le quintette de la Lucia, sans en avoir toutes les qualités. La seconde péripétie du finale, où toutes les voix sont entraînées avec le chœur par un de ces mouvemens rapides auxquels les Italiens donnent le nom de stretta, qui veut dire serrée, est d’une belle et puissante sonorité. L’air de ténor, au troisième acte, très bien chanté par M. Ludovico Graziani, qui est un artiste de talent, n’est pas autrement remarquable et ne vaut pas, à beaucoup près, la belle prière pour voix de femmes qui s’exhale de l’intérieur d’une abbaye, et qui est précédée d’une ritournelle de violoncelle que M. Chevillard exécute avec justesse et onction. Sur cette prière d’une mélodie touchante et noble de style tombent quelques coups d’un glas mortuaire, lesquels, se mêlant aux imprécations de Manfredo, présentent les mêmes élémens dont s’est servi plus tard M. Verdi dans la scène du Miserere, au troisième acte du Trovatore. Ce sont les mêmes contrastes autrement combinés par les deux compositeurs, mais dont l’idée première appartient évidemment à M. Mercadante. L’air de baryton avec accompagnement du chœur qui suit cette belle scène, qu’on pourrait appeler la scène des tombeaux, produit aussi beaucoup d’effet, chanté par l’admirable voix de M. Graziani, qui enlève à la pointe de l’épée une appoggiatture vigoureuse dont il lance les éclats dans la salle, tout émue de son courage. Le morceau capital du troisième acte est incontestablement le second duo d’Éloïsa et de Bianca, réconciliées par le malheur, duo dont l’andante délicieux n’est pas sans avoir beaucoup d’analogie avec celui de Semiramide et d’Arsace dans le chef-d’œuvre du maître, car, jusqu’à la ritournelle des quatre cors, c’est une heureuse réminiscence de l’ouverture du même ouvrage. Mme Penco et Alboni chantent ce duo avec une perfection digne des plus beaux temps du Théâtre-Italien. Un trio très dramatique pour soprano, contralto et basse entre Éloïsa, Bianca et Manfredo, et puis la scène et le duo final entre Viscardo et Éloïsa expirante, complètent cette belle partition, qui, d’un bout à l’autre, est écrite avec un soin remarquable où se reconnaît la main d’un maître de la véritable et bonne école italienne.

Nous voudrions n’avoir rien oublié dans l’analyse rapide d’une œuvre aussi distinguée. Rappelons seulement au souvenir du lecteur le chœur de fête de l’introduction avec l’accompagnement des instrumens militaires, la cavatine du ténor, l’air de Manfredo, le charmant quatuor : Vicino a chi