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de discussion, qui ont le pouvoir de protester contre les injustices dont ils croient être victimes, agir comme s’ils ne possédaient pas la faculté d’éclairer sur eux-mêmes et sur les idées qui leur sont chères l’opinion et la conscience de leurs concitoyens, et, au lieu de se servir de cette arme de la parole dont la privation est une douleur pour tant de libéraux en Europe, renoncer, par une pique puérile et avec une impardonnable étourderie, à la parole et à la lutte.

La calme, honnête et industrieuse Hollande mérite, elle aussi, qu’on ne perde point de vue le travail régulier de ses institutions. Tout est paisible et modéré cette année dans le parlement hollandais, naguère encore troublé par des controverses religieuses très vives et par d’aigres animosités personnelles. L’on s’occupe surtout en Hollande de chemins de fer et de questions financières. Comme il arrive toujours, les projets de chemins de fer donnent lieu à des conflits d’intérêts locaux que le gouvernement a grand’-peine à concilier ; mais l’opinion s’est émue à propos des voies ferrées ; les villes, les provinces, offrent de contribuer aux frais de construction des lignes réclamées, et la Hollande se mettra bientôt au niveau de ses voisins. La discussion du budget n’a pas présenté d’incident intéressant : on y a remarqué surtout cet esprit de conciliation et de modération qui distingue cette année les discussions parlementaires. La discussion d’un projet de réforme des impôts présenté par M. van Bosse est ajournée au printemps prochain. Le parlement hollandais a trouvé dans le budget colonial le sujet d’un débat intéressant. On connaît les efforts tentés dans ces derniers temps par un Anglais, sir James Brooke, devenu, par une suite d’efforts et d’aventures que la Revue a racontés autrefois, rajah de Sarawak, pour faire incorporer aux possessions britanniques cette province de Sarawak dont il s’était fait roi, et qui est située au nord-ouest de l’île de Bornéo. Le projet de sir James Brooke semblait mettre en question le traité conclu en 1824 entre l’Angleterre et les Pays-Bas, et qui délimitait les possessions des deux pays dans la Polynésie. Plusieurs orateurs hollandais, émus de l’agitation provoquée en Angleterre par sir James Brooke, avaient appelé sur ce danger l’attention du ministre des colonies. M. Rochussen avait calmé leurs craintes en laissant entrevoir que le gouvernement anglais ne céderait point aux offres et aux incitations de sir James Brooke. Lord Derby a confirmé en effet les espérances données par M. Rochussen dans la réponse si nette qu’il a adressée à la députation du commerce de Londres qui venait lui recommander les propositions de sir James Brooke, et où il a déclaré que l’annexion de Sarawak serait un précédent périlleux, et que son gouvernement au surplus était opposé à toute nouvelle extension territoriale.

Cette protestation de lord Derby contre la politique d’agrandissement colonial n’a pas eu moins de succès au sein de l’opinion libérale anglaise qu’auprès des Hollandais, rassurés sur leurs possessions à Bornéo. Le danger et l’inutilité de la conquête ou de la fondation de colonies nouvelles sont en effet un des principes que l’école de Manchester a soutenus avec le plus de conviction, et elle a réussi à l’implanter dans l’esprit actuel de la politique anglaise. C’est un des points sur lesquels le cabinet de lord Derby peut se concilier sans trop de difficulté, et sans aucun sacrifice d’opinion, cette