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vinrent bientôt délivrer Cherbourg, si bien que, lorsque les Anglais se présentèrent aux portes de la ville à moitié déserte, ils n’y trouvèrent pour les recevoir que le curé et ses vicaires. Ils s’installèrent à l’aise, faisant main basse sur les provisions des habitans, frappant des réquisitions et menaçant, chaque fois qu’ils n’étaient pas servis assez vite, de mettre le feu partout. Après deux pillages méthodiques faits l’un par les soldats, l’autre par les matelots, ils débarquèrent quarante femmes dont la présence à bord de la flotte ne pouvait s’expliquer par aucun motif honnête; elles montrèrent cent fois plus de férocité qu’une soldatesque effrénée, dévalisèrent surtout les églises et en firent le théâtre de leurs orgies. Le général Blygh, commandant l’armée, mit plus d’ordre dans ses opérations; il mit à rançon les fabriques de glaces et de verre du voisinage, leva sur la ville une contribution de 44,000 francs, brûla trente-sept navires, en amarina quatre, fit embarquer les cloches de l’abbaye, l’artillerie et les armes en état de servir, et employa à faire sauter les fortifications, les quais, les écluses du port, cent cinquante milliers de poudre que M. de Rémond avait eu l’attention de lui laisser. L’épuisement des ressources locales et le besoin de piller faisaient cependant sortir les Anglais de la ville; ils rencontrèrent au dehors les bourgeois qui l’avaient quittée et des troupes de soldats et de paysans armés : ces partis prirent ou tuèrent au de la de sept cents maraudeurs; un meunier de la paroisse de Martinvast en tua sept à lui seul. Tandis que cette défense spontanée s’organisait, des secours arrivaient, et le 16 août le duc de Luxembourg occupait avec seize mille hommes les hauteurs qui commandent la place. Il ne pressa point le rembarquement des troupes du général Blygh, et elles ne laissèrent derrière elles d’autres traces de précipitation que des outils et des sacs à poudre auprès de mines commencées. Les Anglais se proposaient de cueillir les mêmes lauriers en Bretagne, mais ils y furent plus énergiquement reçus, et la bataille de Saint-Cast les dégoûta des descentes pour le reste de la guerre. Le comte de Rémond ne fut point fusillé; c’était sans doute un protégé de Mme de Pompadour, et l’épisode de Cherbourg était à sa place entre les déroutes de Minden et de Rosbach, dues à des généraux du choix de cette créature.

Le jour de l’anniversaire séculaire de l’aventure de 1758, la rade et les quais de Cherbourg retentissaient de cris de : Vive la reine Victoria! Au milieu de cet enthousiasme hospitalier, notre gracieuse alliée a pu sourire à l’aspect des traces d’une visite moins amicale que conserve la jetée orientale du port de commerce; l’assemblage un peu confus de roches brutes et de pierres taillées que présentent les 250 premiers mètres de cette construction est formé des débris de la belle jetée renversée il y a cent ans.