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de les craindre. C’est là toute l’histoire de Cherbourg, et les Anglais qui s’étonnent des soins que nous donnons à ce port se souviennent bien peu des annales de leur propre pays.


I.

On a souvent répété depuis Froissart que César fonda Cherbourg quand il voulut conquérir la Grande-Bretagne. Sans entrer dans les discussions des érudits sur cette origine, on peut se contenter du témoignage de Vauban, qui trouva en 1686, dans les murailles de l’ancien château, des maçonneries manifestement romaines. L’importance de la base d’opérations qu’offrait cette côte ne pouvait pas échapper au génie militaire des conquérans de l’ancien monde, et l’acharnement avec lequel nous l’ont si longtemps disputée nos voisins d’Outre-Manche témoigne qu’ils ne l’ont pas moins bien comprise.

Cherbourg, qui depuis Clovis relevait directement de la couronne de France, passa en 912, avec la Normandie, sous l’autorité de Rollon, et de cette époque à 1450, particulièrement à partir de la conquête de l’Angleterre en 1066 par le duc Guillaume, la ville fut entraînée dans toutes les vicissitudes dont fut affligée la province. Rien n’égale la tristesse de cette période. Après deux siècles de tiraillemens, Edouard Ier fit hommage en 1286 à Philippe le Bel du duché de Normandie : mars la guerre éclatant bientôt entre les couronnes de France et d’Angleterre, les Anglais descendirent à Cherbourg en 1295, et le brûlèrent après l’avoir pillé. La nécessité de prévenir le retour d’un semblable danger donna lieu en 1300 à la construction des premières fortifications. On éprouva bientôt combien elles étaient nécessaires. En 1346, les Anglais s’emparèrent de Barfleur, port alors florissant, « et allèrent tant, dit Froissart, qu’ils vinrent en une bonne, grosse et riche ville qui s’appelle Chierbourg, mais dans le castel ne purent y entrer; ils le trouvèrent trop fort et bien garni de gens d’armes, puis passèrent outre. » Ils se dédommagèrent en mettant à feu et à sang tout ce qui était sans défense dans le reste du Cotentin, et l’armée qui avait reculé devant Cherbourg alla gagner la bataille de Crécy. Donné en apanage à Charles le Mauvais, roi de Navarre, Cherbourg fut entouré vers 1359 de fortifications beaucoup plus puissantes. En 1378, le Navarrois tenta de faire assassiner le roi Charles V, s’allia aux Anglais, et leur livra Cherbourg, qu’il ne se flattait pas de conserver avec ses seules forces. Du Guesclin lui enleva successivement toutes les autres places du comté d’Évreux et du Cotentin. « Quand voyoit ceulx de dedans oppressés, les requéroit qu’ils se rendissent ou tous seroient morts s’ils estoient prins de force : c’estoient les promesses