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Rien ne se perd dans le monde, et cette école buissonnière vers la poésie, ce dilettantisme littéraire valurent plus tard à son style sa distinction, son élégance, sa grâce ionienne, dons fort rares, on le sait, chez les écrivains politiques. La Prusse agonisait; de sa main défaillante, le drapeau de l’Allemagne allait passer à l’Autriche : M. de Varnhagen prit du service dans l’armée autrichienne et combattit à Wagram. Ensuite, une illusion de paix berçant l’Europe, il vint à Paris, mêlé à l’ambassade du prince Schwarzenberg, et parut à la cour de Napoléon. Que d’agitations et de vicissitudes! Plus tard, nous le retrouvons au service de la Russie, placé en qualité d’adjudant auprès du général Tettenborn, dont un jour il écrira les campagnes. Enfin le hasard, disons mieux, sa destinée l’ayant mis en relation avec Hardenberg, il abandonne la vie des camps pour la carrière diplomatique, où sa nature et ses études semblaient dès longtemps l’appeler. M. de Varnhagen assistait au congrès de Vienne, et s’il n’a pas marqué davantage parmi les négociateurs de son pays, la faute en est à son goût trop ardent et trop déclaré des idées constitutionnelles. Ministre résident à Carlsruhe, il fut congédié presque en même temps que Guillaume de Humboldt. Je ne pense pas que depuis il ait de nouveau pris part aux affaires. On parla bien un moment de l’envoyer en Amérique; mais le spirituel vieillard se récusa, préférant à ces fonctions lointaines l’honneur, que personne ne lui disputa, de représenter à Berlin une époque illustre et de mœurs polies. L’ancienne société ne valait certes pas mieux que la nôtre au point de vue de la morale; elle avait ses intrigues, ses rancunes, ses mauvaises passions de toute espèce, mais du, moins on y respectait les convenances.

M. da Varnhagen, à ce point de vue, serait un modèle sur lequel on devrait tâcher de se régler. Il conviendrait aussi d’ajouter en bonne justice que c’est dans les salons de Paris et de Vienne que s’est formé M. de Varnhagen, et que tous les savans n’ont pas la chance d’aller à cette école. N’ayons garde pourtant d’exagérer les bienfaits de cette éducation toute mondaine, qui, en donnant au style l’élégance, la distinction et la mesure, finit par lui ôter beaucoup de son énergie et de sa liberté. Ce culte absolu du comme il faut et du convenable fait que l’écrivain à la longue n’a plus en vue que le goût des salons; or ce goût peut être très profitable au dilettantisme des beaux-esprits et à une certaine psychologie d’amateurs, mais il répugne évidemment au caractère de l’histoire. M. de Varnhagen me fournirait au besoin la meilleure preuve de ce que j’avance. Ce qu’il étudie avant tout dans Napoléon, vous ne le croiriez pas, c’est l’homme de salon; il examine à la loupe cette grande et sombre figure de l’enfant de la révolution, et s’étonne que finalement elle