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puis affirmer, c’est qu’il se garde bien de le pratiquer. Écrivain distingué, observateur ingénieux, satirique, mais dont l’élégance tourne volontiers au précieux, M. de Sternberg forme avec le prince Pückler-Muskau et la comtesse Hahn-Hahn une sorte de classe à part dans la littérature allemande. Plusieurs de ses nouvelles l’ont rendu célèbre. Cela s’appelle Psyché, Galatée, Fortunat, et porte en soi un certain parfum d’ancien régime qui trahit chez l’auteur l’homme de naissance. Vis-à-vis de la littérature démocratique qui de plus en plus prend le haut du pavé, M. de Sternberg joue un peu le rôle d’un émigré. Les réalistes, les conteurs d’histoires villageoises lui reprochent de n’être pas de son temps : il répond aux clabauderies par des épigrammes et par de nouveaux succès aux espèces d’interdits lancés contre ses productions, car si en Allemagne comme ailleurs certaines tendances aristocratiques provoquent parfois bien des antipathies, la querelle ici menaçait de se compliquer d’une question de nationalité. Gentilhomme russe égaré à travers la littérature allemande, il était assez naturel que M. de Sternberg cherchât tout d’abord son point d’appui dans le monde des salons, qu’il devait peindre avec un art où l’on souhaiterait quelquefois de rencontrer plus de bienveillance, nous devrions ajouter plus de discrétion; mais M. de Sternberg est de ceux qui pensent que la vie du monde n’est point la vie privée, et que ses secrets, s’étant déjà pour le moins fort aventurés à passer de bouche en bouche, ne courent point si grand risque à sauter le pas. Pour notre part, nous pensons un peu comme lui, surtout après avoir lu ses Souvenirs; on rencontre là sur la société berlinoise un ensemble d’études et de portraits qu’il est d’autant plus opportun de consulter, que cette société même est en voie de se transformer aujourd’hui.


I.

Les premiers symptômes de l’éveil de la société berlinoise au commencement de ce siècle correspondent à une époque sur laquelle insiste beaucoup M. de Sternberg, celle de la domination française. Cette époque est une des plus moralement grandes de l’histoire de la Prusse. C’est là qu’il faut regarder si l’on veut assister au prodigieux travail d’une nation faisant servir toutes ses forces, même les moindres, à préparer sa délivrance. A la vigoureuse impulsion littéraire de Weimar Berlin avait répondu par sa levée patriotique, et c’est ainsi que ces deux capitales se complètent l’une par l’autre.

On s’est demandé souvent quelle fut la part des salons dans ce mouvement berlinois. Cette part fut sans doute considérable, mais