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vous dira très justement que rien au monde n’eût été plus facile que de vous épargner cette peine et ce ridicule, et que lorsque vous ne vous sentiez ni assez de souffle ni assez de cœur pour fournir votre course, beaucoup mieux valait rester chez vous.

Ce que cette manie de la circonspection et de la réticence a produit en Allemagne d’ineptes volumes ne saurait se calculer. Eût-on vingt fois donné dans le panneau, comme ces rapsodies se recommandent d’ordinaire par des noms considérables, on s’y laisse toujours reprendre, espérant au moins recueillir un renseignement, glaner un détail : pure déception! Vous lisez le livre, et quand vous l’avez lu, vous vous sentez aussi penaud et ridicule que si vous veniez de faire gravement la révérence devant un mur. Et cependant l’intérêt que pourraient offrir de pareils ouvrages, les Mémoires de Saint-Simon nous l’indiquent assez, et sans aller jusqu’à ces hauteurs, en ne dépassant point le coteau, combien au XVIIIe siècle d’intéressans annalistes de cour! Des mémoires ne sont pas l’histoire, mais des matériaux pour l’histoire; ce qu’on leur demande surtout, c’est l’appréciation immédiate et vivante des faits. Quand je lis le baron de Pöllnitz, j’assiste au train de la société allemande pendant le XVIIIe siècle; mais je me demande quelles informations sur notre époque l’avenir trouvera dans la plupart des ouvrages qui composent aujourd’hui cette littérature de chambellans, littérature dont il ne faudrait point parler trop légèrement, car n’oublions pas qu’elle eut Saint-Simon pour patriarche. Diplomate depuis quarante ans, tour à tour secrétaire de légation ou ministre à Vienne, à Paris, à Munich, M. Le baron d’Andlaw publie des Souvenirs[1], et la première chose qu’il se hâte de nous annoncer dans sa préface, c’est qu’il compte ne nous parler ni des hommes, ni des événemens : des hommes, parce qu’un trop grand nombre d’entre eux vit encore; des événemens, parce que le contre-coup exerce sur le présent une force de réaction trop considérable. On devine le livre intéressant que cela fait : des paysages, la Hongrie pittoresque. Vienne et Munich à vol d’oiseau, et de loin en loin, à travers ces esquisses de voyage, un peu de politique, etwas Politik, comme dit le titre du second chapitre de la deuxième partie, mais si peu que ce n’est guère la peine de s’en occuper, puisque dix pages suffisent à l’auteur pour se mettre au courant et, comme on dit vulgairement, pour vider son sac.

Un pareil système a du moins le mérite de ne compromettre personne. J’ignore si M. de Sternberg en fait grand cas, mais ce que je

  1. Erinnerungsblätter aus den Papieren eines Diplomaten, von Franz Freiherrn von Andlaw; Frankfurt 1857.