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Malte apparaît donc au touriste comme la première halte d’un voyage en Orient : de là ses rêves l’emportent vers les Pyramides, vers le Saint-Sépulcre, vers la mosquée qui fut la basilique de Sainte-Sophie; mais au retour c’est autre chose. Si quelque cas de peste a éclaté au moment où il quittait ces beaux pays d’Orient, sujets, hélas! à tant de misères, Malte offre au voyageur la triste perspective d’un séjour plus ou moins long au lazaret. Dès lors l’île a perdu tout son charme. Et d’ailleurs, quand on revient chez soi après une longue absence, quand on a réalisé ses rêves, on veut rentrer au logis avec ses souvenirs tout chauds. Quand on est désenchanté, — ce qui arrive à plus d’un, — il est pénible de s’arrêter aux lieux mêmes d’où on s’était élancé avec l’espérance d’un vol joyeux, et surtout d’y rester captif dans la prison sanitaire qu’on nomme un lazaret. Celui de la Cité-Valette est situé au fond d’un des ports de la ville, au quartier de Marza-Musciette, que d’anciens auteurs ont appelé souvent Marsa-Mouchet.

Il y a quatre ou cinq ans, le hasard avait réuni dans le lazaret de Marza-Musciette quatre personnages qui revenaient de diverses régions de l’Orient. L’un était un peintre; ses crayons à la main, il avait parcouru le Liban pour dessiner des Maronites et des Druses dans leurs costumes pittoresques. Le second, touriste sans profession, rapportait de la Turquie d’Asie de très longues pipes, du tabac excellent et des yatagans d’un grand prix. Le troisième appartenait à cette classe de commerçans arméniens qui parlent assez bien une foule de langues, et voyagent sans relâche, pour les intérêts de leur négoce, de Constantinople à Marseille, de Smyrne à Livourne, d’Alexandrie à Trieste. Quant au quatrième, arrivé par la Mer-Rouge des pays de l’extrême Asie, Allemand et cosmopolite, il prenait plus de plaisir à la lecture qu’à la conversation. Sa malle renfermait un grand nombre de livres bizarres, de manuscrits orientaux, qu’il ne se lassait point d’étudier. De temps à autre, il jetait un regard discret sur les esquisses du peintre; lorsque le touriste lui offrait un chibouck, il le fumait dans l’attitude recueillie d’un rêveur qui apprécie les douceurs du far-niente. Avec l’Arménien, il échangeait quelques paroles insignifiantes pour le seul plaisir de s’exercer dans la pratique des divers idiomes qui lui étaient familiers.

De ces quatre reclus condamnés à rester sous les verroux jusqu’à ce qu’ils eussent purgé leur quarantaine, celui qui s’ennuyait le plus, c’était le touriste. Un soir qu’il avait joué tout seul une partie d’échecs, ne sachant plus que faire, il se mit à battre du tambour avec ses doigts sur une petite table placée devant lui. Cet agréable passe-temps l’occupait depuis une demi-heure. Après avoir battu toute sorte de marches, il venait d’exécuter ce finale de la re-