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chose enfin qui peut et qui doit s’appeler simplicité. Je craindrais même plutôt que cette simplicité ne parût souvent trop nue, car notre goût a contracté des habitudes de luxe dans le commerce des littératures plus avancées.

Isocrate a bien de l’esprit, qu’il est difficile de faire apprécier par des traits détachés, car dans cette haute antiquité l’esprit n’a pas beaucoup de saillie ; mais quand on suit le fond uni de la pensée, on est sensible à tous les traits ingénieux qui la relèvent. C’est une antithèse lumineuse, c’est une image discrète et sobre, et qui fait d’autant plus d’effet, naissant de la suite du discours, comme la fleur sort de la tige. Je ne dirai pas qu’il atteigne à la grâce, chose légère et ailée; il y touche cependant, si je ne me trompe, dans un passage de l’Éloge d’Hélène que je veux citer :


« La beauté est ce qu’il y a de plus auguste, de plus digne d’honneur, de plus divin dans le monde. Il est aisé de reconnaître tout ce qu’elle vaut. Qu’on trouve quelque part la valeur, la sagesse ou la justice, on concevra qu’il puisse y avoir bien des choses plus admirées que chacun de ces mérites pris à part; mais là où manque la beauté, rien n’a de prix; on n’a que dédain pour tout ce qu’elle n’a pas marqué de son caractère, et la vertu même n’est si en honneur que parce qu’elle est la beauté morale. On peut voir encore combien la beauté est supérieure à tout le reste par les sentimens qu’elle nous inspire. Les autres objets dont nous pouvons avoir besoin, nous ne nous en soucions que pour les posséder, et nous ne sentons rien de plus à leur égard; mais ce qui est beau fait naître en nous l’amour, dont la force est autant au-dessus de la réflexion que la beauté même est au-dessus de tout. D’ordinaire la supériorité nous rend jaloux, soit celle de l’intelligence, soit toute autre, si ceux en qui elle éclate ne nous ramènent à force de bienfaits, et ne nous contraignent à leur être reconnaissans ; mais ceux qui ont la beauté se concilient notre affection dès la première vue, ils sont pour nous comme des dieux que nous ne nous lassons pas de servir ; il nous est plus doux de leur obéir que de commander aux autres, et nous leur savons plus de gré d’ordonner sans cesse que de ne rien exiger. Nous méprisons ceux qui courtisent toute autre puissance, nous les appelons des flatteurs; mais ceux qui servent la beauté, on les estime, on dit qu’ils savent aimer et méditer. Enfin tel est le pieux respect que nous portons à cette essence divine, que si celui qui a reçu la beauté la prostitue et fait un usage indigne de ses charmes, nous le méprisons plus que ceux-là mêmes qui outragent la pudeur d’autrui, tandis que, s’il conserve religieusement la fleur de sa jeunesse comme chose sacrée et à jamais interdite aux profanes, nous l’honorons à toujours, au même titre que ceux qui ont fait quelque chose pour la patrie. »


Cette page brillante est curieuse à plus d’un titre pour les modernes; ils reconnaissent tout l’esprit de la Grèce païenne dans une telle apothéose de la beauté : j’ajoute qu’ils y aperçoivent l’amour