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dans la multitude qui règne à Athènes est le trait dominant où le socratique se reconnaît en lui. Il se récrie sur la mobilité de la foule blâmant unanimement, au sortir de l’assemblée, ce qu’elle vient de voter unanimement. Il lui demande compte de l’intolérable tyrannie qu’elle exerce sur la Grèce. Il lui reproche son engouement pour la guerre, qui est toujours si fatale à la démocratie, et vers laquelle pourtant la démocratie se précipite toujours : cela dans le discours sur la Paix, écrit à l’occasion d’une guerre injuste et déraisonnable, car personne d’ailleurs n’a mieux senti et mieux célébré que l’auteur du Discours panégyrique les vraies grandeurs et le légitime éclat de la guerre. Il ne peut supporter surtout l’ascendant que le grand nombre laisse prendre aux plus imprudens, aux plus violens, aux plus décriés, qui passent sans difficulté pour démocrates, parce qu’ils font sans cesse le mal au nom du peuple, et, avec le mot d’aristocrates, jettent sur l’honnête homme qui essaie de leur tenir tête une impopularité dont ils l’accablent. Ce sont là des leçons dont les gouvernemens démocratiques les plus larges, dans les nations et les époques les plus éclairées, trouveront toujours à profiter. Il poursuit sans relâche les sycophantes, c’est le nom dont on nommait à Athènes ces aboyeurs misérables, ces dénonciateurs infâmes, qui donnent les citoyens à déchirer aux citoyens, jetant de préférence en proie aux passions publiques ceux dont ils redoutent le plus la raison ou la vertu. Aussi imposant dans l’accusation que dans l’éloge, il trouve contre les sycophantes des flétrissures presque égales à leur abjection. Il a tracé notamment, à la fin d’un de ses discours, un portrait de cette espèce d’hommes vraiment achevé et ineffaçable. Il a oublié un trait cependant, qui ne se dessinait pas encore : c’est que le sycophante contient en lui le délateur, c’est-à-dire ce qui se se présente de plus triste et de plus odieux dans l’histoire. Le délateur du temps des césars, c’est le sycophante sans la liberté.

Mais que va-t-il mettre à la place des excès qui le scandalisent? Le gouvernement, dit-il, non pas du peuple, mais d’hommes choisis par le peuple, jugés par lui, et en appelant à lui au besoin. Il ajoute seulement ceci, que ces hommes seront « ceux qui ont du loisir et de quoi vivre. » Et par là il n’entend pas exprimer ce fait, que si un homme, sous le poids du travail, n’a pas été libre de penser et de s’instruire, il ne peut pas être appelé aux fonctions du gouvernement; cela n’aurait pas besoin d’être dit. Il est clair qu’il refuse ces fonctions même à celui qui sait et qui pense, s’il n’est pas riche; que ce qu’il veut, c’est le gouvernement des grandes existences, comme on les appelle, l’aristocratie en un mot. Il ne se sert pas de ce mot, il la nomme la meilleure des démocraties, par où l’on voit que ces sortes de phrases n’ont pas été inventées de notre