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ainsi dire, d’un tempérament plus heureux. Il avait la beauté de la figure, il a aussi la beauté des sentimens, et il se plaît dans les attitudes morales qui peuvent le mieux la faire valoir. Il écoute toujours attentivement sa conscience, et autant qu’elle peut-être les délicatesses de ceux à qui il parle, espèce de seconde conscience pour un talent qui ne peut se passer d’être loué et caressé. Il se plaît à entrer, toutes les fois qu’il lui est permis, dans les idées et même dans les passions honnêtes de son auditoire, et il ne le fait si adroitement que parce qu’il le fait naturellement et volontiers. Il n’oublie aucun devoir, et il voudrait s’acquitter de tous. Il n’est pas injurieux, s’il n’a été outragé lui-même. Si donc il attaque la démocratie, ce n’est qu’avec toute sorte de ménagemens. Des trois dispositions chagrines et dangereuses dont j’ai parlé, l’engouement du passé, l’inclination pour l’étranger, le mépris du peuple, il n’y a que la première à laquelle il se livre sans réserve, parce que celle-là était approuvée de tout le monde, et semblait se confondre avec l’amour même de la patrie. Athènes se contemplait avec complaisance dans l’idée qu’elle s’était faite de son passé, comme dans un portrait où elle s’était peinte ressemblante, mais embellie. Quant au reproche de laconiser, d’être un ennemi du peuple et de la démocratie, Isocrate a mis un soin extrême à l’écarter de lui. Il dépense à se justifier là-dessus des ressources d’esprit prodigieuses, qui ne convainquent pas toujours; mais là même où on le sent surtout fin et habile, il demeure vrai, en ce sens qu’il craindrait de se laisser aller à un mauvais sentiment autant que de le laisser, paraître, et qu’il tâche d’être irréprochable à ses propres yeux comme à ceux d’autrui. Il n’est pas d’ailleurs à craindre que par le mécontentement il arrive au découragement, ou qu’il y conduise les autres ; il en est préservé par une sérénité à toute épreuve, don précieux des prédicateurs, qui leur permet de croire que leur sermon va tout convertir, et que ce qui est perdu aujourd’hui peut être sauvé demain. Mais entrons dans le détail de ses opinions.

Quoique disciple de Socrate, il n’attaque jamais directement les croyances populaires, il a pour cela trop de prudence. Seulement à sa sobriété, à sa brièveté sur ce qui regarde les dieux, à son éloignement pour le superflu, si on peut parler ainsi, en fait de culte, au ton dont il répète ces sentences, que le vrai culte et le plus précieux sacrifice est de se montrer juste et homme de bien, et que cela vaut mieux que de prodiguer les victimes, on reconnaît que sa religion est plutôt selon les philosophes que selon les prêtres, et qu’il ne devait pas être compté parmi les dévots.

Il est plus à son aise en politique avec la sottise publique, et l’impatience que lui cause ce qu’il aperçoit de folie et d’aveuglement