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veurs à l’eau-forte. À toutes les époques et dans toutes les écoles, c’est par des peintres que ce genre de gravure a été traité avec le plus de succès. Pour ne citer que quelques noms entre mille, combien Rembrandt, Van-Dyck, les Carrache et le Guide n’ont-ils pas ajouté aux perfectionnemens de l’art et à leur propre réputation en transportant sur le cuivre les œuvres qu’ils avaient ébauchées ou menées à fin sur le papier ou sur la toile ? En France, depuis Callot et Claude Lorrain jusqu’aux petits-maîtres des règnes de Louis XV et de Louis XVI, la liste est longue des artistes qui ont fait preuve, comme graveurs, d’une habileté égale et parfois supérieure à leur talent de peintres. Ce n’est guère qu’à partir des dernières années du XVIIIe siècle que la scission s’établit entre les deux ordres de travaux, scission complète, si radicale même que les graveurs essaient à peine de tenir un crayon, et qu’il y a quarante ans encore, on citait presque comme des exceptions ceux qui, à l’exemple de M. Desnoyers, savaient tracer une forme ailleurs que sur le cuivre. Les choses sans doute ont bien changé depuis lors. Aujourd’hui les graveurs dessinent, et quelques-uns avec un vrai talent ; mais les peintres ne gravent plus, et cette abstention de leur part ne laisse pas seulement dépérir une tradition glorieuse pour notre école : elle permet aux apôtres de l’habileté matérielle et à leurs disciples d’étaler impunément leur maigre savoir. Il serait temps que ce double abus cessât, et que les hommes habitués à manier le pinceau s’aidassent aussi de l’eau-forte pour maintenir l’art dans le domaine du sentiment et du style pittoresque. La nature particulière du procédé commande jusqu’à un certain point le dédain des petits moyens et des petites ruses : de tous les modes de gravure, la gravure à l’eau-forte est celui où l’instinct peut le plus aisément tenir lieu d’une longue expérience technique. En vertu de ces conditions mêmes, la main d’un peintre, loin d’être dépaysée devant la tâche qu’il s’agit d’accomplir, saura, mieux qu’aucune autre, l’aborder avec décision et en définir les vrais caractères, sans préoccupation malencontreuse, sans recherche trop attentive de la subtilité du faire et des tours d’adresse de l’instrument.

Certaines précautions administratives, certains efforts poursuivis par d’autres artistes que les graveurs de profession, pourraient donc avoir une influence salutaire sur l’avenir de la gravure en France. Pour nous en tenir au présent, le domaine de l’art, fort menacé il est vrai, n’est cependant ni aussi restreint qu’on le suppose, ni même très sérieusement entamé. Certes les tentatives d’envahissement ne manquent pas : assez de gens se vouent à la facile besogne de contrefaire, au moyen de l’appareil photographique, les modèles jusqu’ici réservés au burin ; assez d’autres, se méprenant sur l’office