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jourd’hui. Quelles que soient d’ailleurs l’inégalité de mérite et les différences de manière qui distinguent le Moïse de la Jane Grey ou l’Antiope du Repas chez Simon, ces œuvres se relient jusqu’à un certain point entre elles par le fond des intentions et le principe secret qui en a dirigé l’exécution : je veux parler de cette recherche de l’agrément à laquelle les chefs de l’école eux-mêmes ne craignent pas de sacrifier parfois des aspirations plus hautes, de ces gentillesses pittoresques qui seront un jour comme la date et le signalement des morceaux d’art appartenant à notre époque, car les graveurs ne sont pas ici les seuls coupables. Ils ne font que suivre les exemples donnés par les peintres, à quelques rares exceptions près, et se conformer à des modèles dont ils peuvent, dans une certaine mesure, contrôler les caractères extérieurs, mais dont il ne leur appartient de modifier absolument ni les données premières ni l’esprit. Avant de condamner sur ce point les graveurs, il faudrait demander compte à ceux qui les inspirent de leurs propres prédilections, de leurs doctrines, des obligations qu’ils imposent ou des faiblesses qu’ils tolèrent ; il faudrait voir si, parmi les peintures modernes, les plus dignes de publicité sont le plus habituellement reproduites, et, le fait contraire une fois constaté, si les choix ne résultent pas de certaines conditions assez étrangères à la volonté ou aux préférences des graveurs. Deux peintres contemporains, d’un mérite sérieux l’un et l’autre, mais d’un mérite facilement intelligible à tous, — MM. Delaroche et Scheffer, — ont, depuis vingt ans, le privilège d’occuper le burin presque sans relâche. Rien que de fort légitime en cela. Pourquoi une pareille faveur a-t-elle été refusée aux œuvres d’autres artistes plus éminens encore, si ce n’est à cause de la portée même de ces œuvres, du caractère dont elles sont empreintes et de l’ordre d’idées, très peu familier à la foule, dans lequel elles ont été conçues ? À qui la faute, si le Vœu de Louis XIII et le Virgile, le portrait de M. Bertin et le portrait de M. Molé, sont à peu près les seules estampes gravées d’après M. Ingres ? Pour populariser tant bien que mal les autres tableaux du maître, il a fallu recourir aux procédés incomplets, mais peu coûteux, de la lithographie. Y avait-il à cet égard, de la part des graveurs, abstention systématique, ou même indifférence ? Nous ne le pensons pas. La rareté ou l’insuffisance des traductions ne s’explique-t-elle pas ici bien plutôt par les risques de l’entreprise commerciale, par l’incertitude du succès, tandis que la fortune semblait assurée à des travaux plus humbles, et par cela même plus opportuns ? Le charme un peu dépourvu de grandeur qu’on peut à bon droit reprocher aux œuvres de la gravure contemporaine trouverait donc en partie son excuse dans le caractère des œuvres originales, si celles-ci appar-