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qu’au bout pour réussir. Le talent très distingué de M. Blanchard nous donne le droit d’être sévère. Parmi les graveurs contemporains, il n’en est pas un peut-être, — M. Henriquel-Dupont excepté, — qui possède mieux que le graveur de l’Antiope tous les secrets de la pratique : il n’en est pas dont le burin ait plus d’aisance, de facilité brillante et de souplesse ; mais sous ces témoignages extérieurs d’habileté, une certaine négligence se trahit, qui laisse à l’état d’aperçus les intentions qu’il s’agissait d’exprimer sans réticences ni sous-entendus d’aucune sorte. Cette propension à se contenter des indications rapides et des vérités d’épiderme est en général le défaut des œuvres de M. Blanchard. Pour nous en tenir à celle-ci, nous y reconnaissons l’empreinte d’une rare adresse matérielle, d’une main remarquablement intelligente et exercée ; nous y cherchons vainement la trace des méditations profondes, des efforts assidus, on dirait presque de la ferveur que commandait un aussi grand modèle. Le graveur de l’Antiope ne doit-il pas regretter l’empressement qu’il a mis à s’acquitter de sa tâche, et le caractère, à quelques égards inachevé, d’un travail qu’il lui appartenait de mener à meilleure fin ? Qui sait si, en consacrant quelques mois de plus à ce travail, en cherchant plus attentivement à en pénétrer le sens intime, il n’aurait pas réussi à s’assimiler pleinement des qualités qu’il ne s’est appropriées qu’à demi ? Telle qu’elle est, l’œuvre de M. Blanchard doit plaire aux gens, — et le nombre en est grand, — auxquels suffisent, en matière d’art, le premier coup d’œil et la sensation d’un moment ; elle ne saurait contenter tout à fait ceux qui prétendent à des jouissances mieux raisonnées, à de plus durables impressions.

Le reproche de précipitation dans le travail, ou tout au moins de découragement prématuré, qu’autorise la nouvelle gravure de l’Antiope, personne à coup sûr ne sera tenté de l’adresser à la vaste planche que M. Prévost a gravée d’après Paul Véronèse, et qui sert de pendant aux Noces de Cana, publiées il y a quelques années. Ici, — l’on s’en aperçoit de reste, — ni le temps, ni la peine n’ont été épargnés pour obtenir un résultat conforme à l’aspect du tableau, ou plutôt conforme à l’idée que permettent d’en avoir les altérations que ce tableau a subies ; car, en gravant ce Repas chez Simon le Pharisien, M. Prévost a dû non-seulement s’inspirer de l’œuvre de Paul Véronèse telle que nous la voyons au Louvre, mais encore en restituer plusieurs parties perdues ou du moins difficilement intelligibles dans l’état où la peinture se trouve aujourd’hui. On pourrait dire toutefois qu’en voulant un peu trop faire acte de conscience, le graveur a donné à son travail une sorte de correction effacée, quelque chose de fatigué et de raturé outre mesure : à force de se défier de lui-même, il a fini par rendre en apparence Paul Véronèse com-