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du dessin, tout semble si naturel et si facile qu’on serait tenté de méconnaître, sinon le mérite même de l’ouvrage, au moins les peines qu’il a dû coûter. Que l’on se rende compte pourtant des conditions particulières de la tâche, on comprendra ce qu’il a fallu de comparaisons attentives, de fins calculs et de vraie science pour obtenir cette aisance apparente et ces résultats au premier aspect si peu laborieux.

Le tableau que reproduit la planche de M. Henriquel-Dupont figurait à l’exposition ouverte, il y a près de deux ans, au palais des Beaux-Arts. Il appartient à la dernière manière du peintre, ou, pour parler plus exactement, à l’époque où M. Delaroche, ayant pris pleine possession de lui-même, demandait à son propre sentiment ce qu’il empruntait autrefois aux récits des chroniqueurs et aux recueils de monumens historiques. Plus simple, quant à la mise en scène, que la plupart des compositions précédentes, le Moïse est aussi d’un faire plus libre et d’un coloris plus souple. L’enfant, couché dans une corbeille de joncs, glisse sur les eaux du fleuve parallèlement à la base du tableau, tandis que la sœur de Moïse se cache entre les roseaux qui bordent le rivage, et, l’œil au guet, « attend ce qui doit arriver. » Dans le lointain, sur une échappée de ciel et de paysage, se dessinent les figures du père et de la mère qui s’enfuient éperdus de douleur. On le voit, rien de moins compliqué que l’ordonnance des lignes générales. La même discrétion se retrouve dans le choix des tons et de l’effet ; mais cette réserve même pouvait avoir ses dangers et se convertir aisément dans le travail du graveur en froideur ou en monotonie. Les linges blancs qui entourent l’enfant, le vêtement, blanc aussi, de la jeune fille, les teintes douces des eaux et de la végétation, en un mot la sérénité d’un coloris varié seulement dans les nuances, dans les modulations d’un même ton pour ainsi dire, imposait au burin une fidélité difficile, parce qu’en cherchant à maintenir l’unité de l’aspect il courait le risque de n’exprimer que la fadeur. Ajoutons qu’en insistant un peu trop sur l’imitation de certaines parties, en détaillant par exemple avec trop de complaisance ces roseaux qui garnissent le fond, on serait arrivé à faire prédominer la lettre sur l’esprit et à fausser des intentions qui, pour être très soigneusement définies par le pinceau, n’en ont pas moins une portée secondaire.

M. Henriquel-Dupont a su éviter ce double danger d’une harmonie dans le coloris simplifiée jusqu’à la négation et d’un dessin maigre à force de prétention à la netteté. Sa planche, essentiellement agréable, trop agréable peut-être, — car on pourrait désirer ici un peu plus de gravité dans le style, — atteste de nouveau les qualités propres à ce talent et la sagacité avec laquelle il emploie, en face du