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de la nature, — les tableaux ou les dessins que les graveurs doivent prendre pour modèles.

On peut en effet constater dans les œuvres de la peinture contemporaine les symptômes du mal qui menace l’art du burin, ou qui du moins en compromet les conditions auprès d’une certaine partie du public. Le pinceau consent trop souvent à se faire l’esclave du daguerréotype. Au lieu de demander aux produits héliographiques des éclaircissemens ou de simples avis, plus d’un peintre y cherche des exemples et imite servilement à son tour ces imitations serviles. De là bon nombre de tableaux où l’habileté de la main se montre à l’exclusion du reste, de là aussi l’importance que nous attribuons à des talens secondaires et l’estime excessive où nous tenons ce qui n’intéresse pourtant que le regard. Les succès d’un genre de peinture dont le mérite principal consiste dans l’imitation strictement exacte de la réalité, — succès consacrés d’ailleurs par la bienveillance du jury, qui décernait en 1855 au peintre des Fumeurs et des Joueurs de boule la même récompense qu’au peintre de l’Apothéose d’Homère, — prouvent assez qu’en fait d’invention, de poésie et d’intentions morales, nous sommes devenus bien peu exigeans. La transcription littérale de quelque menue vérité nous suffit. Qui sait même ? peut-être, après nous être laissé séduire par les gentillesses du pinceau, par les sujets familiers ou bourgeois, finirons-nous par nous accommoder de certaines scènes rustiques dont nous nous étions effarouchés au début ; peut-être les étranges idylles qui se succèdent depuis quelques années au Salon achèveront-elles de nous convertir à l’humble foi qu’ont propagée d’abord les petits madrigaux réalistes.

Or, puisque l’on accepte de si bonne grâce dans le domaine de la peinture la reproduction textuelle du fait, comment se montrer plus difficile là où l’imitation absolue est en apparence l’unique condition à remplir, là où il s’agit non pas d’exprimer une pensée personnelle, mais de copier avec le plus de fidélité possible les formes de la pensée d’autrui ? — Que la brosse ou le crayon ait à garder en face de la nature une certaine indépendance, voilà, dira-t-on, ce qu’il est juste d’accorder. Le peintre, quelle que soit sa soumission aux leçons de la réalité, est tenu du moins d’agencer des lignes, de combiner des tons, et, n’eut-il d’autre besogne que de choisir entre les divers élémens que cette réalité lui offre, une pareille tâche laisserait encore une part au goût et à l’imagination ; mais le graveur, qu’a-t-il à faire de son sentiment propre ? Comment l’imagination sera-t-elle de mise dans un travail qui exige au contraire de la part de celui qui s’y livre une entière abnégation ? De tous les modes de traduction en pareil cas, aucun ne pourra être aussi désintéressé