Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/756

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petite colonne anglo-indienne, car c’est abuser des mots que de lui donner le nom d’armée, change trois fois de chef. Placé en face de difficultés insurmontables, torturé par le sentiment de son impuissance, accablé de soucis, de responsabilité, stimulé, pressé par l’opinion de ses supérieurs et du public, qui ne tenaient aucun compte de la grandeur des obstacles et ne voyaient que l’impérieuse nécessité de vaincre à tout prix, sir Henry Barnard, mal acclimaté d’ailleurs, puisqu’il n’était dans l’Inde que depuis un an, est saisi du choléra, le 5 juillet, à neuf heures du matin. Six heures après, il rend le dernier soupir dans les bras de son fils. Le général Reed lui succède provisoirement; il avait rejoint l’armée à la fin du premier combat livré devant Delhi, celui qui porte le nom de Badull-Ke-Serai (8 juin), et déjà depuis quelque temps, lorsque le commandement lui échut, il était confiné dans sa tente, où personne n’était admis à le voir, par des souffrances que son âge expliquait de reste. La tâche qu’il assumait ainsi n’était pas de celles qu’un vieillard infirme peut remplir. Aussi, dès qu’il apprit l’arrivée à Calcutta du général sir Patrick Grant, qui venait remplacer l’honorable George Anson, le défunt commander in chief, il se hâta de saisir cette occasion pour résigner ses fonctions. Il avait à choisir son successeur entre deux officiers-généraux d’un mérite à peu près égal, le brigadier Chamberlain, adjudant-général de l’armée, et le brigadier Wilson, qui, nous l’avons vu, avait amené devant Delhi les forces disponibles à Meerut. Le premier eût peut-être été choisi comme jouissant d’une plus haute influence, mais il venait d’être grièvement blessé (dans le combat du 14 juillet), et le général Wilson dut probablement à cette circonstance l’insigne honneur de commander la field force assiégée devant Delhi.

Car, il faut le répéter, c’était bien un vrai siège que les Anglais soutenaient dans le camp retranché qu’ils occupaient derrière le ridge, la petite chaîne d’éminences, dernier rameau des monts Aravelli, qui les séparait des murs de Delhi. Les batteries qu’ils avaient dressées sur la crête de cette muraille naturelle ne servaient absolument qu’à les protéger, et n’avaient aucune action sur les courtines bastionnées du front qu’elles semblaient menacer. A gauche, la Jumna les couvrait. Un large fossé d’écoulement protégeait Tanière du camp. Il n’était accessible que par sa droite; mais là il l’était à toute heure et de toute façon. En dehors des remparts de Delhi s’étend en effet une large zone de faubourgs, coupés de jardins, de bosquets, de jungles, de bâtimens, de seraïs en ruines, dans laquelle les troupes du roi se mouvaient à volonté, parfaitement invisibles et protégées. Elles arrivaient ainsi, avec leurs canons, jusqu’à deux groupes considérables de bâtimens constituant le faubourg de Kissengunge et celui