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camp, cantiniers, etc., qu’on avait tout simplement livrés à la miséricorde des bons villageois. L’exécution en masse allait donc de soi. Elle offrait bien quelques difficultés, par exemple l’ensevelissement des cadavres; mais un bonheur n’arrive jamais seul, — comme le fait remarquer le narrateur, — et un puits profond, desséché, qu’on découvrit à cent cinquante pas de la station de police, leva fort à propos tout obstacle. Ce qui mit ensuite le comble à la joie d’un chacun, — les cipayes exceptés, bien entendu, — c’est que le jour même où allait s’accomplir ce grand acte de « rétribution » était justement le 1er août, anniversaire de la grande fête mahométane, le Bukra-Eed, qui jamais n’a lieu sans quelques sacrifices en commémoration de celui d’Abraham. C’était un excellent prétexte de renvoyer les cavaliers musulmans à Umritsur, pour qu’ils pussent vaquer dans la ville sainte à l’accomplissement de leurs rites sacrés, et cependant le chrétien resté seul, avec l’aide des Sikhs fidèles, pourrait à son aise accomplir, lui aussi, son sacrifice ignoré de ceux de ses adhérens[1] dont il eût risqué, s’il les eût prévenus, d’alarmer la conscience.

Les musulmans partis, on posa des sentinelles autour de la petite ville, afin d’empêcher la sortie d’aucun curieux; les autorités furent convoquées, et seulement alors on leur dit ce qui allait se passer. Nous ne nous chargeons plus de raconter ou d’abréger. Traduire est déjà beaucoup.


« Les cipayes étaient appelés dix par dix. On prenait leurs noms, on leur mettait les menottes, on les liait ensemble, et on les menait au lieu du supplice, où les attendait un détachement de fusiliers. Lorsque le bruit sinistre et lointain de la mousqueterie les eut convaincus, bien malgré eux, qu’ils étaient voués à une mort inévitable, les condamnés se montrèrent sous les aspects les plus divers : étonnement, rage, frénétique désespoir, impassibilité stoïque. En passant devant le magistrat anglo-saxon[2], assis à l’ombre de la station, entouré des autorités indigènes et remplissant un devoir solennel, un de ces pelotons lui hurla que lui, le chrétien, subirait bientôt le même sort. Puis, arrivant devant les jeunes soldats sikhs qui, tenus en réserve, devaient aller peu après remplacer les premiers exécuteurs, ils se mirent, tout liés qu’ils étaient, à danser en insultant la religion sikhe, et ils appelaient ironiquement Gungajie[3] à leur aide. Un seul homme voulut répondre à ces

  1. Il faut bien citer le texte même de cette phrase inouïe : « A capital excuse was thus afforded to permit the Hindostani mussulman horsemen to return to celebrate it (the Bukra Eed) at Umristsur, while the single christian, unembarrassed by their presence, and aided by the faithful Syckhs, might perform a ceremonial sacrifice of a different nature (and the nature of which they had not been made aware of) on the same morrow... » Cooper’s Crisis in the Punjaub, p. 161.
  2. Toujours M. Cooper, parlant de lui-même à la troisième personne.
  3. Nous ignorons la portée ironique de ce sarcasme. Il nous semble cependant que Gungajie doit être la divinité ou l’une des divinités adorées par les Sikhs.