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Tout dans le Pendjab ne se passait pas comme à Peshawur. L’insurrection de Jullundur reproduisit le 7 juin, de point en point, celle de Meerut. En face d’un régiment anglais qui ne demandait qu’à charger et d’une batterie d’artillerie indigène, mais restée fidèle, deux régimens d’infanterie et un régiment de cavalerie cipaye mirent le feu aux cantonnemens, incendièrent une des plus belles stations de l’Inde, pillèrent le trésor, tirèrent sur leurs officiers, et partirent sans avoir été attaqués. Les officiers anglais firent bravement leur devoir, et plusieurs périrent. Le général (que nous ne nommerons pas, puisque sa conduite a été déclarée exempte de tout blâme) eut le malheur d’agir comme le général Hewett, c’est-à-dire d’hésiter, de manquer l’heure opportune, de commencer trop tard la poursuite, et de voir s’échapper impunis, dans la direction de Loudhiana, c’est-à-dire dans la direction de Delhi, les trois corps insurgés. La forteresse de Phillour, un des grands arsenaux militaires, déjà miraculeusement sauvée le 12 mai par l’arrivée d’un détachement européen au moment où la garnison indigène allait se révolter, courut quelques dangers de tomber aux mains des rebelles, qui d’ailleurs, mieux commandés ou plus courageux, auraient pu se maintenir à Loudhiana qui s’insurgea dès qu’ils parurent; mais ils se sentaient poursuivis, et se hâtèrent d’évacuer cette ville importante, où l’inflexible délégué Ricketts se hâta de rentrer, dès qu’ils furent partis, à la tête de quelques cavaliers. Une vingtaine de Cachemyriens avaient pris part à l’émeute provoquée par les fugitifs de Jullundur. Ils furent pendus sans rémission dès que M. Ricketts eut re- pris l’administration de la cité.

La panique de Simlah mériterait à peine une mention, si dans ce cours d’événemens tragiques elle ne formait un contraste frappant. Simlah est, nous l’avons dit, une fraîche retraite où se réfugient en foule, les chaleurs venues, les familles riches de la colonie anglo-indienne. Un régiment de Ghourkas veillait sur cette heureuse cité. Or le soldat ghourka, fort apprécié quand il vient en aide à la bonne cause, n’en est pas moins un allié fort capricieux, fort peu traitable, et, s’il vient à s’insurger, un véritable démon. Il est donc aisé de juger quelle terreur saisit l’élégante population des environs de Simlah quand des rumeurs sinistres, et fondées en partie, lui firent craindre la révolte des montagnards à qui elle était absolument livrée[1]. La terreur s’empara d’abord des ladies, gagna les civi-

  1. Les Ghourkas de Simlah s’irritèrent ou feignirent de s’irriter des précautions qu’on prenait « contre eux, » disaient-ils. Ils insistèrent surtout pour qu’on leur laissât la garde de la banque (renfermant 80,000 roupies environ). Ils allèrent ensuite jusqu’à s’appliquer sans autorisation et « à titre d’avance » 16,000 de ces roupies qu’ils avaient voulu voir, et à l’aspect desquelles leurs fronts basanés s’étaient soudainement éclaircis. Là, comme à Kussowlie (une autre station des montagnes au-dessus d’Umballa), ils se montrèrent quelque temps gardiens si fidèles du trésor public, qu’ils n’en laissaient plus sortir une roupie. Ceux de Kussowlie finirent par piller ce trésor et se disperser. Tout ceci, avouons-le, n’avait rien de très rassurant. En somme, et sans entrer dans le détail des faits, les Ghourkas de Simlah arrivèrent aux dernières limites de l’indiscipline, et on ne les maintint dans une sorte d’obéissance qu’à force de concessions. Du reste, ramenés ensuite à leurs devoirs, ils sont devenus d’excellens auxiliaires, et cette fois encore la fin a justifié les moyens.