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la conquête est assurée, les cœurs à peu près gagnés ou du moins les rancunes assoupies, quand il faut en venir à organiser, et pour organiser l’avenir faire table rase du passé, quand il y a de grandes existences à briser, des abus à faire cesser qui entraînent certaines ruines, Henry Lawrence cesse d’être l’homme de la circonstance. Avide de sympathie et de popularité, il fait trop de concessions, il recule trop devant de pénibles nécessités. Il quitte alors le Pendjab, et son frère John l’y remplace. Celui-ci, rien ne le trouble ni ne l’émeut : au bien public, à sa mission, tout se subordonne. Le but, toujours le but, rien que le but, voilà sa règle, et il va au but sans broncher. Nicholson est du même métal : c’est un des héros de Chilianvallah et de Goujarat. C’est à lui que, dans une de ses proclamations, lord Dalhousie reconnaît la a force d’une tour. » Les Hindous retrouvent en lui cette inflexibilité superbe devant laquelle ils se prosternent. Sur les champs de bataille où il a combattu, ils vous conduisent à l’endroit même où se tenait Nikkul-Seyn. Bien mieux, un ordre de fakirs tout entier, dans le Huzara, renonçant à ses idoles, l’a même pris pour divinité. Quand un de ces moines fanatiques le rencontre, il se jette à ses pieds, il le proclame son gourou[1]. Nicholson l’envoie en prison, parfois même le fait flageller, pour le récompenser de cet hommage importun. Les Nikkul-Seynites n’en sont que plus édifiés, plus soumis et plus dévots. « Nicholson, un beau jour, nous dit le colonel Edwardes, après en avoir fait mettre quelques-uns au cachot, les fit relâcher à la condition que désormais ils adoreraient, au lieu de lui, le commissaire qu’il venait d’imposer à leur district; mais rentrés dans leur monastère, ils reprirent sans hésiter, comme en vertu d’une révélation d’en haut, le culte de l’inflexible Nikkul-Seyn[2]. » A côté de ces deux hommes, proconsuls de naissance pour ainsi dire, était aussi le judicial commissioner ontgomery, que ses talens, mis en relief pendant la crise alors près de sévir, ont fait envoyer dans l’Oude reconquis, celui-là même dont le nom a souvent retenti dans les débats parlementaires relatifs à la fameuse proclamation de lord Canning.

Henry Lawrence, John Lawrence, Robert Montgomery, tous trois membres du bureau d’administration, avaient fondé la puissance anglaise dans le Pendjab. Deux d’entre eux allaient avoir à s’y maintenir, et s’ils n’y parvenaient point, si la révolte gagnait ces districts guerriers, qui pourrait prévoir le sort de l’empire indien? Heureusement ces trois hommes, compatriotes et condisciples, se

  1. Gourou, guide religieux ou spirituel.
  2. Le colonel Edwardes est, nous le croyons, l’auteur des Personal Adventures during the Indian Rebellion in Rohilcund, Futtehghur and Onde, London 1858; mais ce n’est pas de ce livre que sont extraits les détails que nous donnons, d’après lui, sur le colonel Nicholson. On les trouve dans l’ouvrage de M. Raikes (Notes on the Revolt), p. 34.