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à la perception physique. Cette évolution n’est point seulement un problème d’esthétique, elle tient encore aux arcanes de l’idéologie; il nous suffit de l’indiquer. — Les paysages des Horizons prochains peuvent encore nous fournir une autre remarque : ils sont conçus absolument et pourraient facilement se détacher du reste du récit, avantage qu’offrent rarement les œuvres contemporaines dans les études de la nature; je parle des paysages vrais, et non des paysages d’imagination et de convention. M. Jules Sandeau, dont à notre avis se rapprocherait surtout l’écrivain qui nous occupe, s’il venait à composer un véritable roman, a décrit dans ses œuvres des paysages essentiellement vrais, tout pleins de fraîcheur, de charme et de parfum, susceptibles principalement de l’interprétation morale dont nous faisons un mérite à l’auteur des Horizons prochains ; mais il les étudie peu pour eux-mêmes, il en fait surtout des cadres à ses personnages, avec les dispositions intimes desquels il s’applique à les mettre en harmonie. Il est vrai aussi que l’introduction dans un récit d’une action régulière et suivie, de caractères longuement développés, doit sensiblement modifier la composition, et que cette dernière méthode devient alors d’un emploi nécessaire.

Nous nous arrêtons ici dans l’analyse d’un livre qui, par la manière tranchée dont il s’écarte des productions actuelles, a fixé un peu longuement peut-être notre attention. Nous avouons qu’il nous a séduit par une forme véritablement originale, par un fonds d’idées qui, malgré les objections que nous avons cru devoir faire à quelques-unes d’entre elles, n’en sont pas moins le résultat désintéressé de longues et de sérieuses méditations. D’autres pourront ne pas voir dans les Horizons prochains ce que nous y avons vu, d’autres y découvrir peut-être davantage, quelques-uns enfin arriver à une appréciation toute différente de la nôtre : nous ne croyons pas néanmoins que la divergence de ces impressions puisse influer sur la valeur absolue du livre. C’est que cette valeur réside surtout dans un rapport obligé d’esprit à esprit, rapport qui peut varier selon les individus et les circonstances, mais qui doit forcément s’établir. Ainsi comprises et exécutées, de telles familiarités d’écrivain à lecteur, d’âme particulière à âme collective, ne sont pas si communes qu’on hésite à profiter de l’hospitalité offerte, et à examiner attentivement ces livres de bonne foy, selon l’expression de Montaigne, qui donna lui-même dans ses Essais l’exemple de cette confiance et de cette liberté. Nous devons savoir gré à l’écrivain de nous prendre ainsi pour confidens, de nous introduire dans l’intimité de sa vie morale, de nous mettre de moitié dans les impressions qui lui appartiennent, et dont il pourrait être jaloux, enfin de nous faire respirer les fleurs que, suivant le dernier vers d’une épigraphe empruntée à Dante par l’auteur des Horizons prochains, il a cueillies sur sa route,

Oad’ éra piata tutta la sua via.

Ce livre nous intéresse encore en ce qu’il peut nous éclairer dans l’appréciation des œuvres contemporaines. Les deux bases essentielles du roman sont l’action et l’analyse morale ; mais depuis quelque temps celle-ci semble prédominer dans la composition littéraire. Entre elles d’ailleurs n’existe pas une parfaite égalité ni une absolue relation. Si, d’après les rigoureuses exi-