Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/716

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

permanente série d’ardentes aspirations vers un monde inconnu. Non; ce livre n’est ni une recherche ni un doute : c’est une conclusion. L’esprit qui s’y révèle a fait assurément un certain jour, comme Descartes, comme tous les penseurs de bonne foi, table rase en lui-même; mais aujourd’hui, à la place nette jadis, quelque monument est construit, quelque sanctuaire est édifié, quelque chose enfin est debout. Une flamme intérieure brille, qui s’aperçoit à travers les colonnes du tabernacle : à nous de voir comment elle rayonne, comment elle échauffe.

Ce n’est point un roman d’ailleurs, ce ne sont même pas des nouvelles, c’est plutôt, au point de vue de l’action, une série d’esquisses destinées à rester telles; André Chénier les eût appelées des quadros. Ce sont des scènes à un personnage, deux tout au plus. Et qu’est-il besoin d’un plus grand nombre? Qu’eussent fait nos grands tragiques de ces armées de comparses qui accompagnent, sous prétexte de couleur locale, les héros du drame romantique? A quoi bon tant de gens autour d’Andromaque ou de Polyeucte? Il suffisait pour donner la réplique d’un simple confident, de ce pauvre confident, si méprisé, si raillé, mais dont l’emploi n’était pas si nul ni si ridicule qu’on a bien voulu le dire. Le héros parlait pour lui-même, le confident parlait pour le poète : il était de tous ces rois et de toutes ces princesses l’ami, le conseiller, le prophète ; ne faites donc pas fi de son importance. Sous ce masque froid et sans couleur, l’écrivain inspiré (rates) s’adressait directement à la foule et s’entretenait réellement avec les créations de son propre génie; c’est par la bouche d’Œnone qu’il entraînait Phèdre à sa perte, c’est sous l’humble manteau du coryphée qu’il entrait en scène pour avertir ou consoler ceux dont il avait fait des demi-dieux ou des victimes. Ce personnage existe dans les Horizons prochains, mais c’est l’auteur lui-même qui remplit ce rôle, et la physionomie qu’il lui donne n’est pas la chose la moins remarquable du livre ; l’esquisser, ce sera examiner en même temps la manière dont l’ouvrage a été conçu.

Déjà même, à nous en tenir à ce que nous révèle la préface, nous pouvons avoir de la méthode suivie par l’auteur, méthode tout intime, une suffisante idée. Où va-t-il? d’où revient-il? qu’attend-il? Il ne le dit pas précisément, mais les termes qu’il emploie, vagues pour ceux qui s’en tiennent à la lettre, ont pour ceux dont ils émeuvent certaines fibres une signification déterminée, et ne peuvent, malgré leur incertitude apparente, s’appliquer indifféremment à toutes choses Aussi n’y a-t-il rien dans ce livre pour ceux-là surtout qui cherchent des impressions faciles à mesurer et à redire, soit qu’ils aiment les grosses émotions du mélodrame, soit qu’ils se plaisent à fouiller les bas-fonds du réalisme ; il n’y a même rien pour « les fins connaisseurs, » pour ceux qui tiennent à ce que le spectacle se passe toujours dans l’ordre accoutumé, et qui veulent que le discours commence par l’exorde et se termine par la péroraison. — Otez-moi de là ces magots! — diraient-ils comme Louis XIV des intérieurs flamands. — Vous qui aimez au contraire, non pas les soupirs énervans des harpes éoliennes, non pas les fausses rêveries de commande et les extases d’à-propos, non pas enfin ce convenu romantique mille fois plus insipide que le convenu classique, mais bien ce que le songe et le rêve ont de véritablement naturel et humain, ce