Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/715

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éclater les anciens traités, et de jouer le sort de l’Italie sur les chances d’une guerre européenne allumée par lui. Le jour où commencerait cette guerre, que deviendrait la liberté, encore si fragile, qui est pour le Piémont une force d’attraction et de défense bien plus grande que sa brave, mais petite armée ? Ce jour-là, le Piémont, qui n’aurait pas la primauté militaire, perdrait au sein même de l’Italie la primauté des idées. Ce jour-là, l’Italie, redevenue le champ de bataille de l’Autriche et de la France, ne serait probablement pas elle-même le seul champ de bataille de l’Europe, et ce n’est pas chez elle que se dénouerait la lutte. Il n’est permis de compter sur la victoire définitive que lorsqu’on fait la guerre malgré soi. Mais ce n’est point au Piémont que nous aurions l’impertinence de présenter ces observations, au Piémont, gouverné par un prince aussi loyal que le roi Victor-Emmanuel et par un homme d’état aussi éclairé que M. de Cavour. Nous les soumettons à ces aveugles amis de l’Italie qui ne craignent point d’appeler sur elle de nouveaux malheurs en irritant encore par des illusions décevantes sa douloureuse impatience. e. forcade.




UN ROMAN RELIGIEUX.
Les Horizons prochains[1].


L’art de se dévoiler soi-même dans une œuvre d’imagination, d’allier ses propres souvenirs aux choses racontées, de se montrer enfin sous les personnages que l’on met en scène, est difficile, et il est peu d’écrivains qui le possèdent. Les uns, en s’offrant sans cesse à nos regards, ne dépassent pas une exhibition vague et banale ; d’autres au contraire, tout en employant la forme du moi dans leur récit, n’en demeurent pas moins extérieurement impersonnels : ils n’en veulent pas moins être cherchés et devinés. À cette classe, croyons-nous, appartient l’auteur des Horizons prochains. Est-ce pour forcer le lecteur à cette recherche, est-ce pour obliger la critique à procéder par voie de comparaison, que cet écrivain a gardé l’anonyme ? Est-ce par un simple effet de modestie féminine peut-être ? Ceci nous paraîtrait plus vraisemblable. Quoi qu’il en soit, cet anonyme nous met à l’aise. Avec lui, nous avons le champ libre ; il nous permet de tirer les conclusions que les impressions de notre lecture doivent immédiatement nous fournir. Que sais-je ? Nous pouvons sortir de l’époque présente, des préoccupations actuelles, et nous reporter au moment où Mme de La Fayette écrivait la Princesse de Clèves, peut-être même à celui où Pascal, solitaire et tourmenté, se laissait aller à ses fiévreuses pensées, et imposait à sa raison rebelle une foi impuissante à lui apporter le repos. C’est qu’en effet il s’agît ici à la fois de sentimens délicats et de croyances recherchées comme un abri. Une certitude morale parfois orgueilleuse, parfois tremblante, voilà ce qui nous semble résumer le livre. Ce n’est pas d’ailleurs qu’il nous présente la succession agitée de continuels essais vers un certain idéal, ni la

  1. 1 vol. gr. in-18, Michel Lévy.