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astreinte par une responsabilité solidaire à payer au seigneur les redevances fixées par l’état. Sans doute il ne faut pas s’attendre à voir les populations russes arriver tout d’un coup, au lendemain de l’émancipation, à l’état social auquel les peuples occidentaux ne sont parvenus qu’après des siècles de guerres civiles et de révolutions. L’effort tenté par l’empereur Alexandre n’en est pas moins digne d’admiration, et l’œuvre qu’il commence, une des plus glorieuses qui aient été accomplies dans ce siècle.

Le Piémont et l’Italie ont ces jours passés donné lieu à d’étranges alarmes. On prêtait au roi Victor-Emmanuel nous ne savons quelle belliqueuse sortie contre l’Autriche. Sur la foi de cette prétendue manifestation du roi de Sardaigne, des journaux finançais ont montré une guerre avec l’Autriche pour la délivrance de l’Italie comme la dernière tâche qui soit réservée à nos armes avant que la France ait le droit de fermer pour jamais le temple de Janus. À ces prédications de guerre, dont le moindre inconvénient ne sera pas de jeter de nouvelles excitations au milieu des matières inflammables que contient l’Italie, un journal semi-officiel a répondu par des protestations qu’on voulait rendre rassurantes, mais dont le sens a été altéré par une regrettable gaucherie d’expression. Les motifs de cette émotion sont bien légers, mais cette émotion elle-même est grave et trahit les inquiétudes qu’entretient la situation de l’Europe. Les journaux qui ne craignent point d’exciter ces dangereuses alertes sont bien aveugles et encourent une bien grave responsabilité. Ils peuvent en effet, par les passions qu’ils flattent et les espérances qu’ils enivrent, provoquer ces incidens qui enlèvent aux peuples et aux gouvernemens leur libre arbitre, et les précipitent comme des instrumens de la fatalité dans des entreprises dont ils ne peuvent plus maîtriser les conséquences. Nous connaissons les justes griefs de l’Italie, nous connaissons la légitime ambition du Piémont; mais est-ce donner un sage conseil à un gouvernement régulier comme celui du Piémont que de l’exciter à briser les traités sur lesquels est fondée la paix de l’Europe ? La question vaut la peine d’être examinée.

Le respect des traités entre nations civilisées est un intérêt d’honneur pour les gouvernemens au même titre que le respect des contrats pour les individus. Les traités peuvent être onéreux ainsi que les contrats; ce caractère n’autorise pas plus un gouvernement à se soustraire aux traités que les individus à violer les contrats. Il est aussi impossible de maintenir l’ordre dans le monde que la probité au sein des sociétés, si cette loi est méconnue. Ceux qui la transgressent en portent inévitablement la peine. Dieu préserve le Piémont d’aller légèrement au-devant de la rupture des traités. Sa position dans le monde, ses institutions, son influence croissante en Italie, lui tracent une autre conduite, et lui préparent de meilleures récompenses. Le Piémont, grâce à sa constitution libérale, est aujourd’hui la patrie morale de tous les esprits éclairés de l’Italie. Ses frontières sont étroites, mais ses institutions les élargissent assez pour y faire entrer le génie italien. Une pareille situation est assez belle pour qu’il vaille la peine de l’assurer au prix d’un peu de patience. Si le Piémont veut avoir le profit des nouvelles distributions territoriales qui pourront s’accomplir un jour en Italie, qu’il se garde bien de donner lui-même le signal des événemens qui feraient