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présidée par le maréchal O’Donnell; mais qui oserait en prédire la durée?

Quoique le grand travail de l’émancipation des serfs qui occupe la Russie ne soit point à la veille de recevoir sa consécration définitive, l’Europe doit en suivre cependant avec intérêt les phases régulières. Nous avons déjà exprimé les sympathies que l’empereur Alexandre s’est assurées au sein du libéralisme européen par l’impulsion virile et courageuse qu’il a donnée à ce vaste mouvement social. Lorsque l’empereur, immédiatement après la paix de Paris, eut manifesté sa volonté dans son discours à la noblesse de Moscou, la résolution impériale provoqua parmi les propriétaires fonciers un mécontentement à peu près général. L’opposition se montrait publiquement et au grand jour. Tout se passerait, disaient les adversaires de l’émancipation, en vagues et contradictoires discussions, et, après beaucoup de paroles inutiles, la question du servage serait enterrée. Une élite peu nombreuse d’esprits libéraux et prévoyans comprit seule le sérieux des tendances philanthropiques du souverain et l’utilité qu’elles devaient avoir pour le pays. Les idées émises par les partisans de l’émancipation firent cependant peu à peu leur chemin, et lorsque l’empereur invita par un ukase la noblesse à former des comités provinciaux qui devraient rechercher les moyens pratiques de l’émancipation, l’hostilité du public propriétaire s’était un peu calmée, ou avait baissé de ton. Les comités se constituèrent, et à l’heure qu’il est, ils ont tous répondu à l’appel du souverain. Dans cette phase encore, on a pu remarquer un nouveau progrès de l’opinion et une retraite nouvelle de l’opposition. Les propriétaires les plus rétrogrades grondent sourdement, mais ils n’avouent plus le désir de conserver le servage. Ils contestent seulement au gouvernement la légalité de la marche suivie par lui dans cette question; ils cherchent à intimider l’empereur par des brochures anonymes où s’étalent des prophéties de révolution, où l’on montre le gouvernement impuissant à satisfaire les exigences qu’il aura provoquées au sein des différentes classes. Quoi qu’il en soit, plusieurs comités ont déjà présenté le résultat de leurs délibérations, et le gouvernement attend que les enquêtes et les vœux de tous les comités lui soient parvenus pour arrêter les mesures définitives qui décideront la réorganisation sociale de la Russie. Le travail qu’une œuvre aussi colossale impose à l’empereur et à ses conseillers est immense. Il ne s’agit point seulement en effet de transformer la condition sociale d’un peuple; il faut encore avoir préparé tout le système d’administration qui devra régir ces masses d’hommes appelées à la liberté. Ces populations soumises jusqu’à présent à l’arbitraire des seigneurs pourront-elles s’administrer elles-mêmes? Faut-il, au sortir de l’arbitraire, les abandonner à l’anarchie? Le gouvernement russe cherche, dit-on, la solution de ce redoutable problème dans l’organisation de la commune. Les élémens de l’organisation communale existent en effet dans la plupart des provinces russes, notamment dans les provinces de la Grande et de la Petite-Russie, et même dans quelques-unes des provinces de la Russie-Blanche. L’administration nouvelle serait fondée, croyons-nous, sur une large participation du peuple à l’élection de ses administrateurs les plus proches. Le seigneur conserverait une sorte de protectorat et de haute surveillance sur la commune, laquelle, en échange de sa libération, serait