Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/709

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politique résolue et sensée, qui avait déterminé et conduit la guerre d’Orient, était changée. Il semblait que l’on eût oublié que nous venions de dépenser plus de deux milliards et de perdre cent mille hommes pour retarder le partage de l’empire ottoman, et pour défendre son intégrité et son indépendance. On reprochait avec violence à la Turquie ce qu’on appelait aussi son ingratitude, comme si nous eussions fait la guerre pour les beaux yeux de la Sublime-Porte et pour mériter sa reconnaissance, comme si nous n’avions pas fait la guerre pour nous-mêmes, pour empêcher l’altération au détriment de notre puissance de la distribution des territoires et des influences en Europe. Si le règlement des principautés a produit quelque surprise, n’est-ce pas à l’attitude et aux manifestations très impolitiques de ces journaux que l’on doit l’attribuer? et si le désenchantement s’est trahi chez les amis des Roumains par des expressions chaleureuses, les vrais coupables ne sont-ils pas ceux qui dénoncent l’injustice des plaintes après avoir excité si légèrement autrefois l’effervescence des espérances chimériques?

Le procès intenté à M. Le comte de Montalembert a été jugé, il y a quelques jours, par la police correctionnelle, et nous n’apprendrions plus rien à personne en rappelant les dispositions du jugement qui a frappé ce membre illustre de l’ancienne pairie et de nos dernières assemblées délibérantes. Nous protesterons seulement à ce sujet contre l’opinion d’un journal étranger qui prétend que toute action politique est désormais refusée en France aux écrivains et aux hommes éclairés ; nous ne pouvons accepter une pareille assertion. Nos lois, même les moins indulgentes, n’interdisent point l’action politique à ceux des Français qui considèrent comme un devoir d’y persévérer. Nous n’en voudrions pour preuve que la loi même dont les dispositions ont été appliquées au comte de Montalembert. Le décret du 11 août 1848 contient cette déclaration expresse (art. 4) : «La présente disposition ne peut porter atteinte au droit de discussion et de censuré du pouvoir exécutif et des ministres. » Un écrivain français dont personne ne contestera sans doute l’activité, et dont le nom a souvent retenti dans nos anciennes luttes, M. Emile de Girardin, ne partage assurément point l’opinion du journal anglais contre laquelle nous croyons nécessaire de protester. M. Emile de Girardin vient d’être appelé par le prince Napoléon dans le conseil général de l’Algérie. Les fonctions qu’il a acceptées donnent un poids particulier à une sorte de manifeste que M. Emile de Girardin vient de publier en tête de ses œuvres, comme l’explication de son entrée dans le conseil supérieur de l’Algérie. L’ancien fondateur de la Presse adhère à l’empire, et il exprime l’espérance convaincue que l’empire actuel trouvera dans la liberté la même force et le même prestige que le premier empire avait cherchés dans la gloire. Ce n’est point de la liberté restreinte que parle M. de Girardin, c’est de la liberté illimitée. Nous ne sommes point aussi ambitieux que lui; nous voulons le plus, mais nous nous contenterions du moins. Nous faisons des vœux pour que la confiance de M. Emile de Girardin soit justifiée, et nous n’hésitons pas à dire que, lors même qu’une faible partie seulement des espérances qu’il fait briller devant nous serait réalisée, son avènement à une position officielle, auquel nous devons cette bonne nouvelle, fixerait une date mémorable dans l’histoire contemporaine.