Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/703

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 novembre 1858.


Ce qu’on perd en politique du côté de l’action régulière, l’on essaie de le regagner par l’utopie ; moins l’on agit, plus l’on rêve. Notre utopie à nous paraîtra bien innocente : nous rêvons un état de société où tous ceux qui sont arrivés par leur éducation et l’application constante de leur vie à l’intelligence des intérêts généraux de leur pays exprimeraient ouvertement leur opinion sur les affaires publiques. Tous assurément, dans notre Salente, ne seraient point du même avis : chacun parlerait suivant le tour de ses convictions et de son esprit, suivant son humeur et sa passion ; mais la bonne foi et le patriotisme de personne ne seraient contestés. Grâce à cette convention généreuse, qui ennoblirait l’émulation commune, on passerait à l’éloquence ses mâles ardeurs, on pardonnerait même aux sentimens passionnés leurs inévitables injustices, et dans aucun cas l’on ne se fâcherait contre l’esprit. — L’on ne rechercherait d’autre supériorité sur ses adversaires que d’être plus éloquent et d’avoir plus d’esprit qu’eux. Le héros grec n’aurait plus à dire : Frappe, mais écoute ! Au lieu de le battre, on lui répondrait. On combattrait dans l’arène ouverte, au grand air et sous la grande lumière du jour, chacun pour soi, et, comme suprême juge, l’opinion publique pour tous !

Ne dédaignons pas trop les utopies ; elles ont peu d’influence sur la réalité, nous le savons, mais elles consolent les songeurs qui les caressent, et sont utiles à ceux qui, sans s’inquiéter du succès qu’elles auront auprès des autres, commencent par en faire l’application sur eux-mêmes. Nous l’éprouvons pour notre compte. Nous devons à notre utopie une bonne humeur tolérante, patiente et confiante, qui n’est point aujourd’hui un viatique superflu, et elle nous encourage à faire aux autres ce que nous voudrions voir faire envers nous dans les controverses auxquelles donnent lieu les publications politiques de la Revue.