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« Allons, je vois, monsieur, a-t-elle dit avec une singulière expression d’ironie, que vous aimez ce qui est beau, ce qui parle à l’imagination et à l’âme : la nature, la verdure, les bruyères, les pierres et les beaux arts. Vous vous entendrez à merveille avec Mlle Hélouin, qui adore également toutes ces choses, lesquelles pour mon compte je n’aime guère. — Mais au nom du ciel, qu’est-ce donc que vous aimez, mademoiselle? — À cette question, que je lui adressais sur le ton d’un aimable enjouement, Mlle Marguerite s’est brusquement tournée vers moi, m’a lancé un regard hautain et a répondu sèchement : — J’aime mon chien. Ici, Mervyn! » J’ai cité ces quelques lignes parce qu’elles donnent bien le ton habituel de cette âme bizarre, et expriment fidèlement la nuance d’ironie qui lui est propre. Le caractère de Marguerite n’a donc aucun trait qui ne soit et ne puisse être vrai; malheureusement M. Feuillet a poussé ce caractère à outrance, de manière à le rendre invraisemblable. Marguerite est tellement préoccupée de n’être pas aimée pour sa fortune, elle est tellement défiante, qu’elle tombe elle-même dans les défauts qu’elle redoute de rencontrer chez les autres. Ses exigences ressemblent parfois à des indignités. Il faut en vérité que l’amour de Maxime soit tenace pour résister à des épreuves aussi insultantes, à des mauvais traitemens aussi peu mérités, et ne pas se changer en indifférence ou en mépris. En outre, je ferai remarquer à M. Feuillet qu’il y a certaines preuves de passion qui ont pour effet naturel non d’augmenter, mais de refroidir l’amour. Je fais allusion ici au saut périlleux que Maxime exécute du haut de la tour. On comprend bien qu’il expose sa vie pour ne pas rester sous le coup des soupçons de Marguerite ; ce que l’on comprend moins, c’est que son amour ne soit pas atteint profondément après cette scène. Il est doux sans doute d’exposer sa vie pour ce qu’on aime, mais certes il est amer d’être envoyé à la mort par une ironie gratuite, un soupçon ombrageux ou un caprice cruel. Une ballade espagnole raconte qu’une dame laissa tomber par caprice son gant dans une arène où combattaient des lions, et demanda à son amant, assis auprès d’elle, d’aller le ramasser : le cavalier descendit sans répondre, ramassa le gant et le remit à sa maîtresse; mais il ne l’aimait plus, dit la ballade, qui, je crois, est d’accord ici avec le cœur humain.

Le Roman d’un jeune homme pauvre continue au Vaudeville, sous une forme dramatique, le cours de ses succès. Les observations précédentes nous dispensent d’insister sur le drame, qui n’est que la transformation habile et ingénieuse du roman. M. Feuillet n’a rien ajouté à sa conception première; en revanche, il a beaucoup retranché. Mlle de Porhoët, une des plus heureuses créations du récit, n’est mentionnée qu’en passant dans une phrase insignifiante;