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fondu, constitue l’originalité incontestable de M. Feuillet. Il a absorbé de la littérature romantique tout ce que son goût naturellement sobre pouvait en absorber. Il en a rejeté et comme vomi tout ce que sa nature saine et morale n’a pu supporter, et cependant il a gardé beaucoup de l’aimable poison. Il est l’auteur d’une des tentatives les plus extraordinaires que l’on puisse citer, c’est d’avoir essayé de transporter toute la poésie d’une littérature d’imagination dans la vie calme et morale, d’avoir voulu faire bénéficier la vie honnête de tous les enivremens dangereux de la passion la plus hasardée. Regardez bien au fond des écrits de M. Feuillet; vous trouverez, acceptées, purifiées ou maudites, toutes les excentricités paradoxales de la littérature romantique. Ces excentricités le préoccupent singulièrement, et on distingue à son langage qu’il a naguère éprouvé des éblouissemens en face de ces dangereux météores. Son esprit judicieux et moral s’est défendu sans grand combat, je crois, contre ces séductions, mais non cependant sans quelques protestations. En même temps que son bon sens lui disait que ce n’étaient là que des folies, son imagination délicate, accessible aux impressions poétiques, avait peut-être bonne envie de leur donner l’absolution. Elle semblait envier aux passions coupables et au vice élégant ce qu’ils pouvaient avoir de charme et d’attrait, et elle aurait voulu les en dépouiller pour en orner la vertu et l’honnêteté. De là un effort ingénieux, et dont M. Feuillet ne s’est pas toujours peut-être rendu compte-lui-même, pour faire profiter l’honnêteté des avantages et des séductions de la corruption poétique. Si le gouffre a des attraits, ne pourrait-on se procurer le plaisir d’en éprouver les vertiges sans pour cela tomber au fond? Si le fruit défendu a des charmes, ne pourrait-on le détacher de l’arbre sans y porter la dent? Difficiles problèmes que M. Feuillet a si souvent ingénieusement résolus! Il ne hait pas les situations scabreuses, les désirs dangereux, les velléités de révolte, les chatouillemens de la curiosité. Rappelez-vous la Crise, le Pour et le Contre, la Clé d’or, le Cheveu blanc. M. Feuillet décrit poétiquement toutes ces petites tentations, il les excuse, et les fait expier par un repentir aussi gracieux que la faute. Pour nous résumer d’un mot, M. Feuillet a transporté le romantisme dans la vie de famille; il a inventé ce que j’appellerai le romantisme conjugal. Avais-je tort de vous dire que les écrits de M. Feuillet marquent une heure et une date, l’heure où l’esprit de nos contemporains était déjà guéri des folies romantiques, et où leur imagination les regrettait encore? Cette contradiction subtile et un peu bizarre a trouvé son expression délicate dans les proverbes et les comédies de M. Feuillet.

J’abandonne, pour n’y plus revenir, cette influence du roman-