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les sans les envier ni les imiter, et retournons comme Candide cultiver notre jardin, que nous nous efforcerons de rendre aussi élégant et aussi paré que nous le permettront des soins assidus et une vigilance ingénieuse, attentive, studieuse. »

Ce discours que je me plais à imaginer me semble résumer assez fidèlement les impressions, les sentimens, les rêveries qui ont dû assister à l’éveil du talent de M. Feuillet, qui l’ont bercé, enchanté et instruit. Ce sont ces premières impressions qui ont donné à son talent sa forme et la direction dans laquelle il marche encore aujourd’hui. Lentement, laborieusement, il s’est efforcé et s’efforce d’échapper à ce que leur influence pourrait avoir de tyrannique, sans effacer en lui ce qu’elles pouvaient avoir de bienfaisant; il a voulu que son imagination fût soumise sans être esclave, et libre sans être irrespectueuse. Il est venu trop tard pour être engagé dans les rangs du romantisme; mais l’écho de cette littérature a retenti à ses oreilles, et il en a gardé, il en gardera toujours le souvenir. Jeune, la musique de cet écho l’enivrait; je n’en veux pour preuve qu’un certain conte vénitien à la manière de George Sand, qu’il a eu le tort, selon moi, de laisser reproduire dans un de ses récens volumes, et ses premières fantaisies dramatiques, le Fruit défendu, par exemple, Alix, aimables et heureux pastiches d’Alfred de Musset, qui étant exécutés par une main habile et un esprit original, se laissent lire avec plaisir. Cette influence qui lui dictait ses premiers écrits est toujours vivante en lui; mais il s’est dégagé finement, et en a fait une amie et non plus une maîtresse tyrannique. On sent bien encore dans les peintures de la passion que l’auteur est contemporain de Mme Sand et d’Alfred de Musset; mais quelles distances l’auteur a parcourues entre Onesta et la Petite Comtesse, entre Alix et Dalila! De ces anciennes lectures qui l’enchantaient, il n’a plus retenu qu’une leçon, l’art d’exprimer la passion et de lui faire parler un langage digne d’elle.

La littérature romantique cependant lui a enseigné encore d’autres secrets, qui font à la fois la force et la faiblesse de son talent, mais que selon toute apparence il n’oubliera jamais. Le romantisme lui a enseigné l’élégance, le respect des choses de l’art, l’amour des formes curieuses, originales, agréables à l’œil du dilettante et du connaisseur en littérature, le dédain des formes vulgaires et communes. Il a retenu admirablement cette leçon, — un peu trop peut-être, disent quelques-unes des personnes qui goûtent le plus son talent. Parfois cette recherche des formes littéraires le pousse involontairement à l’oubli de la simplicité, de la nature et des conditions de l’art sévère. L’horreur du commun le pousse dans l’artificiel, et le respect de l’élégance le jette dans les mignardises ma-