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sions fiévreuses qui s’étaient exprimées dans les romans de George Sand et dans les poésies d’Alfred de Musset vibrait encore dans l’air si orageux naguère, alors tant apaisé. Tout dans la disposition morale des esprits donnait l’idée d’un aimable crépuscule, au moment où la lumière lutte avant de s’éteindre dans la nuit. Les contemporains qui avaient pris part aux grandes luttes intellectuelles des vingt dernières années étaient arrivés à cet âge où les passions ne sont plus qu’un souvenir,-mais un souvenir si récent qu’elles semblent encore une réalité. Les jeunes générations, en débutant dans la vie, se trouvaient donc comme enveloppées des souvenirs vivans de fêtes à peine terminées; en entrant dans la société, elles éprouvaient l’impression qu’un fidèle attardé éprouve en entrant dans un temple lorsque l’office divin est achevé : la foule s’est dispersée, les prêtres ont déposé leurs vêtemens, et les dalles du temple sont redevenues sonores; mais l’odeur des cierges et le parfum de l’encens remplissent l’enceinte sacrée, et l’émotion religieuse, pareille à une émanation vivante du divin sacrifice, gagne encore l’âme du fidèle. C’est dans cette disposition morale des esprits qu’il faut chercher l’origine du talent d’Octave Feuillet. Toutes ces impressions, il les a ressenties, et ses écrits en portent la marque indélébile. Il arriva au moment où la grande fête littéraire du XIXe siècle se terminait: en route, il put entendre les sons des derniers concerts, surprendre les conversations des convives qui revenaient fatigués et joyeux ; mais lorsqu’il posa le pied sur le seuil de la salle brillante, on éteignait les dernières lampes et on enlevait les dernières guirlandes. Spectacle attristant et cependant poétique, bien fait pour laisser une impression de tristesse attendrie dans une âme fine et délicate! Tout à l’heure ce lieu était rempli de bruit, de lumières, et maintenant tout est sombre et désert. On dirait un songe, et pourtant on ne peut douter que ce fût une réalité. Tous ces débris élégans qui jonchent le sol nous l’attestent. La place où se tenaient les musiciens se laisse facilement distinguer, et voici épars les sièges sur lesquels se sont assis les jeunes dames et les cavaliers. Oh! pourquoi donc suis-je arrivé si tard? Que s’est-il dit, que s’est-il chuchoté durant cette fête si longue et si courte? Et à cette impression rêveuse il s’en joint une autre plus grave, plus morale, d’une mélancolie réfléchie. Où sont cependant tous ces concerts, et à quoi ont servi tant de chansons? Pourquoi dépenser en une nuit les ressources de longues années, et épuiser pour une fête de plaisir effréné les trésors qui auraient pu suffire, sagement administrés, à enchanter toute une vie heureuse? Aimons les fous qui viennent de disparaître, mais que leur exemple nous instruise! Soyons plus économes qu’eux de nous-mêmes. Admirons--