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l’extrémité méridionale des éminences en question, la seule qu’on pût essayer de tourner, quelques massifs de bâtimens, comme le Marché aux Légumes (Subjic Mundie) et la maison de Rao (Hindoo-Rao’s house), servaient d’ouvrages avancés et couvraient la droite du camp. Tous ces motifs, difficiles à expliquer clairement en l’absence de cartes figuratives, deviennent immédiatement appréciables quand on a sous les yeux un plan de Delhi et de ses environs[1].

On ne devait cependant pas espérer que cette forte position serait occupée sans coup férir. Effectivement les cipayes avaient placé entre Aleepore et le canal dont nous venons de parler une batterie couverte, que soutenaient plusieurs pièces de campagne. Le feu des rebelles était rapide et précis; les pertes furent notables quand il fallut, le 8 juin, à quatre heures du matin, enlever cette première position, régulièrement bastionnée. Douze canons, dont trois pièces de grosse artillerie, tombèrent aux mains des Anglais, qui, avançant ensuite par un mouvement rapide, traversèrent le canal, guéable en cette saison. Les Royal Rifles s’y jetèrent sans hésiter, et se mirent aussitôt à escalader les hauteurs rocheuses qu’ils voyaient en face d’eux, couronnées d’une artillerie nombreuse et bien servie. Quand ils les eurent gravies à travers la mitraille et les balles, ils descendirent sur le revers opposé, comme emportés par leur élan, et il fallut leur envoyer par la voix des clairons l’ordre de rabattre sur leur gauche. Ce fut le mouvement décisif de la journée. Les artilleurs indigènes, se voyant au moment d’être tournés et coupés, abandonnèrent leurs pièces, et toutes celles qui étaient en batterie à droite et à gauche de la Flag-Staff-Tower furent enlevées par une seule charge. Avant le soleil couché, les tentes anglaises étaient dressées sur le terrain, encore détrempé de sang. Plusieurs officiers de marque avaient péri, entre autres l’adjudant-général de l’armée, le colonel Charles Chester, et le capitaine Russell. Parmi les morts des combats précédens, nous trouvons un jeune lieutenant appelé Napier. Les beaux noms, on le voit, sont bien portés en Angleterre, et on y fait un heureux emploi des études classiques, à en juger par l’héroïque trépas du jeune officier d’infanterie dont nous parle le chapelain de Meerut : « Ce charmant jeune homme, nous dit-il, aimait à citer ses auteurs. Peut-être était-ce dans les grands écrivains de la Grèce et de Rome que, tout enfant, il s’était imbu de l’esprit militaire qui devait le distinguer plus tard. En cette triste occasion, tandis que, mortellement blessé, il gisait sous une tente, du camp, il s’écria tout à coup, — un sourire éclairant en même

  1. Celui qui est joint au Chaplain’s Narrative nous semble très suffisant, même pour un compte-rendu purement stratégique.