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gagnerait même pas. » Comme on voit, il fait encore ici ses réserves; pourtant, sur ce sujet, il s’oublie quelquefois, et on croirait aisément, à lire certains passages, que, si sa curiosité venait plus souvent s’incliner au bord du symbolisme, il y tomberait : par exemple, à propos du miracle d’Attila, que l’apparition d’un ange effraya devant saint Léon : « Nous n’y voyons, dit-il, nous autres modernes, que l’ascendant d’un pontife; mais comment peindre un ascendant? Sans la langue pittoresque des hommes du Ve siècle, c’en était fait d’un chef-d’œuvre de Raphaël. Au reste, nous sommes tous d’accord sur le prodige : un ascendant qui arrête Attila est bien aussi surnaturel qu’un ange, et qui sait même si ce sont deux choses?» Voilà les anges à peu près supprimés, tant il va vite quand il s’abandonne! et la science des mythes n’est-elle pas tout entière dans ce peu de lignes? Appuyez un peu, vous aurez tout Strauss!

Le dogme est progressif; les révélations se succèdent dans l’histoire, elles éclatent à chaque grande transformation de l’état social. La première fut donnée au premier homme avec le langage articulé; la seconde aux patriarches, c’est-à-dire à l’association nomade connue sous le nom de tribu; la troisième à Moïse, pour la nation sédentaire; la quatrième par le Christ, avec l’unité dans la hiérarchie, image et instrument de la fraternité morale; il annonce lui-même la cinquième, destinée à réunir toutes les sectes et à devenir réellement universelle, c’est-à-dire catholique. La religion « est soumise à la loi générale » du développement, et sur ce point il pousse victorieusement les protestans, qui auraient voulu l’amener l’église à son état primitif, comme s’il était possible de remonter les siècles. Supposer que tout ce qu’on ne trouve point dans les temps primitifs est un abus, « c’est chercher dans un enfant au maillot les véritables dimensions d’un homme fait. C’est pitié de voir d’excellens esprits se tuer à vouloir prouver par l’enfance que la virilité est un abus, tandis qu’une institution quelconque, adulte en naissant, est une absurdité au premier chef, une véritable contradiction logique.» Aussi voudrait-il que l’église n’eût jamais écrit ses décisions, qui l’ont rétrécie, qui l’empêchent encore d’embrasser le genre humain. C’est l’hérésie qui l’y a forcée; c’est Luther et Calvin qui ont fait le concile de Trente. «L’état de guerre éleva ces remparts vénérables autour de la vérité; ils la défendent sans doute, mais ils la cachent; ils la rendent inattaquable, mais par là même moins accessible. Ah! ce n’est pas ce qu’elle demande, elle qui voudrait serrer le genre humain dans ses bras! » Ce n’est pas l’écriture une fois tracée, c’est la parole éternellement vivante qui doit interpréter le dogme, afin que chacun y trouve selon son esprit, que le peuple y prenne ce qu’il peut atteindre, et que le savant s’y élève plus haut. Les pro-