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ses lois, les lois que la Providence divine écrit elle-même dans les faits. Le seul fait d’écrire n’immobilise point; l’écriture n’est point ineffaçable; Dieu lui-même, c’est de Maistre qui l’a dit, efface souvent pour écrire de nouveau. L’écriture est devenue l’immense répertoire du passé; par elle s’accroît l’éducation du genre humain ; toute religion s’en appuie, pourquoi pas toute législation? Il devait donc, sans rien ôter à la Providence, donner un peu plus de part à l’homme dans la construction des états; il fallait lui laisser ses délibérations, ses tentatives même périlleuses, ses lois écrites, toujours corrigibles. Tous ces efforts ne lui sont-ils pas imposés par sa responsabilité? et le labeur n’en est-il pas assez pénible en lui-même, et d’ordinaire assez humiliant par le résultat, pour qu’on le lui pardonne?

Nous arrivons maintenant à la souveraineté. La première erreur de la révolution, comme on l’a vu, son premier attentat contrôle gouvernement temporel de la Providence a été de vouloir créer sur des plans absolus des institutions sans passé, par conséquent étrangères au développement historique qui est la manifestation de Dieu. Sa seconde erreur, son second attentat a été de poser la souveraineté du peuple, rêve contre nature, impossibilité, tromperie : théorie qu’on a vue à l’œuvre, fabriquant des lois électorales qui pliaient toujours le principe à l’avantage du parti triomphant, qui l’éludaient au moment même où elles l’appliquaient, qui « bornaient les droits du peuple à élire des électeurs, lui défendaient de donner des mandats à ses mandataires, compliquaient à l’infini les rouages d’une machine toujours dérangée[1] ; » en un mot, un escamotage, de sorte qu’il n’y avait en réalité ni souverain, ni opposition. Où est donc, de bonne foi, le souverain? Il est là où s’exerce la souveraineté; il est, soit le monarque, appuyé sur une aristocratie qui est le prolongement de la souveraineté même, soit une combinaison multiple de pouvoirs constitués, comme en Angleterre, soit une démocratie effectivement agissante, comme elle est possible dans les petites républiques. Néanmoins, dans toutes ces combinaisons, la souveraineté est sujette à bien des inconvéniens; partant, l’oppression et la discorde sont possibles. Dans les monarchies en particulier, c’est-à-dire dans les grands états, les souverains peuvent être tellement mauvais, qu’on ne les supporte que parce que l’anarchie est encore pire. « La race audacieuse de Japhet n’a cessé de graviter vers la liberté; elle veut être aussi peu gouvernée que possible; elle chasse ses maîtres, leur oppose des lois, et essaie mille formes de gouvernemens pour les réprimer ou pour s’en passer. Le problème est donc de savoir comment on peut restreindre le pouvoir souverain sans le

  1. Considér., ch. IV, VII.