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sa liberté), si elle ne l’a pas; lorsqu’elle commence à réfléchir sur elle-même, ses lois sont déjà faites; toute nation libre avait dans sa constitution naturelle des germes de liberté aussi anciens qu’elle. Il est donc vain de vouloir constituer une nation; il est plus vain d’imaginer, comme Hume, un plan de république parfaite. Tous ces plans, par cela même qu’ils sont complets, ne s’appliquent à rien, parce qu’il n’y a rien de m faire; il n’y a qu’à constater, à réparer, à développer les faits et les droits existans, peu à peu et avec mesure. Tous ces plans, étant théoriques, c’est-à-dire fondés sur des principes généraux, ne conviendraient qu’à l’homme en général. « Or il n’y a point d’homme dans le monde, il n’y a que des hommes. J’ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes, etc., je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan; mais, quant à l’homme, je ne l’ai rencontré de ma vie : s’il existe, c’est bien à mon insu. » C’est donc peu « que de l’esprit, des connaissances et de l’exercice, pour apprendre le métier de constituant. Des hommes ne peuvent pas, un beau matin, dire à d’autres hommes : Faites-nous un gouvernement, comme on dit à un ouvrier : Faites-nous une pompe à feu ou un métier à bas. » En un mot, «étant données la population, les mœurs, la religion, la situation géographique, les relations politiques, les richesses, les bonnes et les mauvaises qualités d’une certaine nation, trouver les lois qui lui conviennent, » tel est le problème politique : le résoudre pour l’homme abstrait, c’est faire un thème, c’est tenter un ouvrage qui porte en lui non le sceau divin, mais le signe de la destruction.

Certes il y avait de la profondeur et de la fécondité dans ces observations; elles ouvraient des vues immenses sur l’histoire; c’était le génie de Machiavel et de Vico examinant la plaie de la révolution française. Qu’on se reporte à ce temps où la philosophie était encore emprisonnée chez nous dans le cercle étroit de Condillac, et où l’histoire était presque toute dans Vertot et dans Velly. Avec quel sûr coup d’œil il mesure tout le mouvement de l’histoire d’Angleterre pour confirmer ses principes! «La constitution anglaise a-t-elle été faite a priori? Quels hommes d’état ont jamais été assemblés pour se dire entre eux : Créons trois pouvoirs, balançons-les de telle et telle manière, etc.? Jamais on n’y a pensé. » La constitution anglaise est l’ouvrage des circonstances, et le nombre de ces circonstances est infini. Les lois romaines, les lois ecclésiastiques, les lois féodales, les coutumes saxonnes, normandes et danoises, les privilèges, les prétentions et les préjugés de tous les ordres; les guerres, les révoltes, les révolutions, la conquête, les croisades, toutes les vertus, tous les vices, toutes les connaissances, les erreurs, les passions; tous ces élémens enfin, agissant ensemble