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incurie à l’extérieur. Les portes ne s’ouvrent jamais qu’à demi, et retombent d’elles-mêmes par leur propre poids. Tout est ombrageux dans ces constructions singulières admirablement complices des cachoteries du maître ; les fenêtres ont des barreaux, et toute sorte de précautions sont prises aussi bien contre les indiscrétions du dehors que contre les curiosités du dedans. Derrière ces clôtures taciturnes, ces portes massives comme des portes de citadelles, ces guichets barricadés avec du fer, il y a des choses qu’on ignore, il y a les deux grands mystères de ce pays-ci, la fortune mobilière et les femmes. De l’une et des autres, on ne connaît presque rien. L’argent circule à peine, les femmes sortent peu. L’argent ne se montre guère que pour passer d’une main arabe dans une main arabe, pour se convertir en petite consommation ou en bijoux. Les femmes ne sortent que voilées, et leur rendez-vous le plus habituel est un lieu d’asile inviolable : ce sont les bains. Des rideaux de mousseline légère qui se soulèvent au vent de la rue, des fleurs soignées dans un pot de faïence de forme bizarre, voilà à peu près tout ce qu’on aperçoit de ces gynécées, qui nous font rêver. On entend sortir de ces retraites des bruits qui ne sont plus des bruits, ou des chuchotemens qu’on prendrait pour des soupirs. Tantôt c’est une voix qui parle à travers une ouverture cachée, ou qui descend de la terrasse et qui semble voltiger au-dessus de la rue comme la voix d’un oiseau invisible ; tantôt la plainte d’un enfant qui se lamente dans une langue déjà singulière, et dont le balbutiement mêlé de pleurs n’a plus de signification pour une oreille étrangère. Ou bien c’est un son d’instrument, le bruit mat des darboukfis, qui marque avec lenteur la mesure d’un chant qu’on n’entend pas, et dont la note unique et scandée comme une rime sourde semble accompagner la mélodie d’un rêve. La captivité se console ainsi, en rêvant d’une liberté qu’elle n’a jamais eue et qu’elle ne peut comprendre.

Il y a un proverbe arabe qui dit : Quand la femme a vu l’hôte, elle ne veut plus de son mari. Les Arabes ont un livre de la sagesse à leur usage, et toute la politique conjugale est réglée sur ce précepte. Il est donc bien convenu que, délicieuse ou non pour ceux qui l’habitent, luxueuse ou pauvre, une maison d’Arabe est une pj-ison à forte serrure, et fermée comme un coffre-fort. Le maître avare en a la clé ; il y renferme ensemble tous ses secrets, et nul ne sait, nul ne peut dire ce qu’il possède, ni combien, ni quel en est le prix.

Beaucoup plus tolérans que les Arabes, les Juifs et les nègres permettent à leurs femmes de sortir sans voiles. Les Juives sont belles ; à l’inverse des Mauresques, on les voit partout, aux fontaines, sur le seuil des portes, devant les boutiques, ou réunies autour des bou-