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Voilà pour les causes. Maintenant quels seront les résultats? C’est ici qu’il dépasse de beaucoup tous ceux qui, à cette époque, avaient essayé de les prévoir. Les politiques n’espéraient tout au plus de l’avenir que ce qu’ils avaient eux-mêmes demandé en commençant : un nouvel ordre civil, la liberté réglée, l’égalité devant la loi, l’administration centralisée, la justice uniforme. Quelques-uns rêvaient, dans l’ordre moral, une nouvelle religion avec des allégories sculptées et des temples de la Raison. De Maistre aussi annonce, comme résultat principal de la révolution politique, une révolution religieuse; mais il l’annonce comme devant se produire par interprétation ou par éclaircissement de la religion ancienne, ce qui est autrement sérieux et conforme aux lois de développement déjà connues par l’histoire. Cette pensée, dans un catholique sincère et soumis, a une tout autre importance que les hommages à l’Être suprême et les essais des théophilanthropes. Nous la voyons déjà, dès 1794, avant les Considérations, se présenter, encore vague, dans un discours à Mme de Costa : « Il faut avoir le courage de l’avouer, madame, lui disait-il; longtemps nous n’avions point compris la révolution dont nous sommes les témoins, longtemps nous l’avons prise pour un événement; nous étions dans l’erreur, c’est une époque. Peut-être pourrait-on déjà, sans témérité, indiquer quelques traits des plans futurs qui paraissent décrétés. » Ouvrons maintenant les Considérations. « Gardons-nous de perdre courage, dit-il, il n’y a point de châtiment qui ne purifie; il est doux, au milieu du renversement général, de pressentir les plans de la Divinité... Il me semble que tout vrai philosophe doit opter entre ces deux hypothèses, ou qu’il va se former une nouvelle religion, ou que le christianisme sera rajeuni de quelque manière extraordinaire. » Qu’est-ce donc qui lui inspire une prévision si étrange? C’est la profondeur même de la révolution, «l’affaiblissement général des principes moraux, la divergence des opinions, l’ébranlement des souverainetés, qui manquent de base, l’immensité de nos besoins, l’inanité de nos moyens. » En d’autres termes, c’est que la religion, dans son état actuel, ne peut plus pourvoir à l’état nouveau de la société affaiblie, divergente, aspirant à la vie morale, et n’ayant plus d’institution capable de lui distribuer le pain de vie. C’est donc la révolution qui en a manifesté la ruine, mais c’est elle aussi qui a déblayé le terrain pour la nouvelle construction. « Le serment cribla les prêtres, s’il est permis de s’exprimer ainsi. » C’est d’ailleurs dans le sein même du catholicisme, et par l’église même, que la révolution religieuse doit se réaliser; le clergé trouvera, dit-il, dans la contemplation de son œuvre future « ce degré d’exaltation qui élève l’homme au-dessus de lui-même, et le met en état de produire de grandes choses. » Nous aurons occa-