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quelles idées plus générales il y puise sur les institutions politiques et la souveraineté, enfin comment, toujours sur la même base, il se dresse dans ses derniers jours et cherche à atteindre le problème de la théodicée.»


I.

A l’époque où Joseph de Maistre commençait à écrire, c’est-à-dire au sortir des proscriptions, des confiscations et des tribunaux révolutionnaires, lorsque le sang criait encore de toutes parts et que l’idée première s’y était éteinte, la révolution, devenue toute matérielle, ne montrait plus guère aux yeux fatigués qu’un drame horrible touchant à sa fin. On avait vu, dans les quatre années précédentes, ceux qui étaient chargés de conduire la société laisser tomber le pouvoir de leurs mains, et des hommes à l’esprit étroit, à la conscience pervertie, le ramasser et remplir leur fonction destructive avec une logique impitoyable. Ils avaient pénétré par toutes les brèches de la cité, parce qu’elle avait négligé de réparer à temps ses remparts, c’est-à-dire ses lois, ses mœurs, ses institutions. Armés de théories absolues, ils avaient marché droit devant eux, remplissant l’office d’une sorte de fatalité, achevant les ruines et s’y enterrant eux-mêmes. Aux fausses idées succédaient sous le directoire les mœurs corrompues; tout s’acheminait à la chute, au pouvoir militaire, aux bouleversemens européens, que de Maistre appelait d’avance les révolutions tamerlaniques. Qui aurait pu alors donner une définition nette et juste de la révolution? On appelait de ce nom tout ce qui s’était fait, bien ou mal, et le mal étant ce qu’il y avait de plus bruyant et de plus visible, on ne se figurait plus la révolution que comme un personnage gigantesque marchant tout d’une pièce sur une scène toujours sanglante. Ce n’était donc le moment pour personne de proposer des distinctions, d’analyser les élémens divers, de remonter aux causes, de juger les résultats, d’apprécier des institutions nouvelles, qui jusqu’alors n’avaient fait que crouler l’une sur l’autre. Encore moins les exilés, les proscrits, pouvaient-ils en porter un jugement calme et définitif, eux qui souffraient, et qui, de loin, n’apercevaient que des mouvemens incompréhensibles. Il n’y aurait donc pas à s’étonner que de Maistre en eût jugé comme tout le monde, et il est vrai qu’alors il vit surtout dans la révolution ses folies, ses terreurs, son drame; il la déclara satanique, et, ce mot une fois lâché, il ne le retira plus. Vingt ans plus tard, dans le livre du Pape, il l’appelait encore u satanique dans son essence, » tant cette première impression avait été forte et exclusive, tant elle avait agi sur son âme, plutôt comme une sensation que comme une idée. Cependant l’idée lui vint aussi après la sensation, et alors il appela la révolution un