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JOSEPH DE MAISTRE
CE QU’IL EST ET CE QU’IL DEVIENT

Mémoires politiques et Correspondance diplomatique de Joseph de Maistre, publiés par M. Albert Blanc, 1858.



Une révolution des plus singulières atteint en ce moment la mémoire de Joseph de Maistre. Pendant quarante ans, il a été l’oracle d’un grand parti politique et religieux, et l’exécration d’un autre parti : voici que tout à coup les rôles changent; bon nombre de ses disciples gémissent et se détournent de lui, ses ennemis l’embrassent et relèvent jusqu’au ciel. Tout le monde se trompe-t-il? ou sa renommée était-elle établie en sens inverse de ce qu’il était? Comment une erreur aussi universelle a-t-elle été possible en présence de tant de livres qu’il a laissés, si affirmatifs, si clairs d’expression, si dévoués aux uns, si hostiles aux autres? Et, chose peut-être non moins singulière, ce qui a causé ce revirement, jusqu’à présent inouï dans la littérature, c’est tout simplement la publication de quelques correspondances diplomatiques, confidentielles, pleines d’idées, de passion, de bon sens, de patriotisme. Mais ces lettres annoncent en même temps un travail inquiet, un certain tourment de ce grand esprit désorienté, qui semble sans cesse tressaillir, se réveiller comme d’un rêve, se replier sur lui-même, et ouvrir les yeux malgré lui. En un mot, on a cru que, transfuge posthume, il passait à ceux qu’il avait paru combattre toute sa vie. Jusqu’à quel point et en quel sens cette impression rend-elle la vérité?

On aurait pu, il est vrai, deviner, il y a longtemps, quelque malentendu dans cette renommée, aujourd’hui si étrangement déplacée.