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VIII.

On cerna la forêt où les bandits s’étaient réfugiés. Des paysans des villages voisins, mis en réquisition par les gens de la police turque, étaient venus renforcer la petite armée : elle se partagea en quatre colonnes, qui pénétrèrent dans la forêt par des côtés différens, de façon à se réunir au centre. Je n’entrerai pas dans les détails de l’escarmouche qui eut lieu. Les bandits firent une trouée dans les rangs de leurs ennemis et s’échappèrent en se dispersant. Une dizaine d’hommes restèrent de chaque côté sur le terrain. A dix heures, Giret et les siens étaient maîtres du champ de bataille, et les détachemens, arrivant de côtés divers, débouchaient l’un après l’autre dans une clairière qui occupait le milieu de la forêt. C’était un vaste terrain inégalement incliné et environné de vieux chênes. Au bas de la pente étaient placées symétriquement deux fontaines, construites sur le modèle uniforme que le sultan Mahmoud a introduit dans toutes les campagnes de la Turquie. Une pierre creusée, longue et étroite, reçoit l’eau qui coule par plusieurs ouvertures d’un massif de maçonnerie. Cette auge est divisée en compartimens, de telle façon que les fidèles qui viennent y faire ensemble leurs ablutions aient chacun sa place réservée. Des versets du Coran sont gravés sur le massif. Sur l’une des deux fontaines était écrit :


« N’as-tu pas vu comment Dieu fait tomber du ciel l’eau, et la conduit aux sources cachées des entrailles de la terre ?

« O croyans ! quand vous vous disposez à faire la prière, lavez-vous le visage et les mains jusqu’au coude ; essuyez-vous la tête et les pieds jusqu’au talon. »


L’inscription plus longue de la seconde fontaine contenait le tableau du paradis de Mahomet :


« Les fidèles serviteurs de Dieu

« Habiteront le jardin des délices,

« Se reposant sur des sièges ornés d’or et de pierreries,

« Accoudés et placés en face les uns des autres.

« Autour d’eux circuleront des jeunes gens éternellement jeunes,

« Avec des gobelets, des aiguières et des coupes remplies d’une boisson limpide,

« Dont ils n’éprouveront ni maux de tête ni étourdissemens,

« Avec des fruits qu’ils choisiront à leur goût,

« Et de la chair de ces oiseaux qu’ils aiment tant.

« Ils auront des vierges au regard modeste, aux grands yeux noirs, et semblables par leur teint aux œufs d’autruche que rien n’a ternis. »