Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/559

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Gwynn des lampions bien plus infects ; les nerfs alors étaient robustes, l’on respirait agréablement là où d’autres suffoqueraient. Le comte de Dorset ayant écrit quelques petites chansons et satires, Dryden lui jure que dans son genre il égale Shakspeare et surpasse tous les anciens. Et ces panégyriques assénés en face durent imperturbablement pendant vingt pages, l’auteur passant tour à tour en revue les diverses vertus de son grand homme et trouvant toujours que la dernière est la plus belle ; après quoi, en récompense il recevait une bourse d’or. Notez qu’en cela Dryden n’était pas plus laquais qu’un autre. La corporation de Hall, haranguée un jour par le duc de Monmouth, lui fit cadeau de six pièces d’or, que Monmouth donnait à M. Marvell, député de Hall au parlement. Les scrupules modernes n’étaient pas nés. Je crois que Dryden, avec tous ses prosternemens, a plutôt manqué d’esprit que d’honneur.

Un second talent, peut-être le premier en temps de carnaval, est l’art de dire des polissonneries, et la restauration fut un carnaval à peu près aussi délicat qu’un bal de débardeurs. Il y a d’étranges chansons et des prologues plus que hasardés dans les pièces de Dryden. Son Mariage à la Mode s’ouvre par ces vers, que chante une dame mariée : « Pourquoi un sot vœu de mariage, fait il y a longtemps, nous lierait-il maintenant que notre passion est éteinte? » Le lecteur lira lui-même le reste ; on n’en peut rien citer. D’ailleurs Dryden y réussit mal : son fonds d’esprit est trop solide ; son naturel est trop sérieux, même réservé, taciturne. « Son ton libre, dit très bien Walter Scott, ressemble à l’impudence forcée d’un homme timide. » Il voulait avoir les belles façons d’un Sedley, d’un Rochester, se faisait pétulant par calcul, et s’asseyait carrément dans l’ordure où les autres ne faisaient que gambader. Rien de plus nauséabond qu’une gravelure étudiée, et Dryden étudie tout, jusqu’à la plaisanterie et la politesse. Il écrit à Dennis, qui l’avait loué : « Les belles qualités que vous me prêtez ne sont pas plus à moi que la lumière de la lune ne peut être dite lui appartenir, puisqu’elle ne brille que par la clarté réfléchie de son frère. » Il écrit à sa cousine, en manière de narration divertissante, ces détails sur une grosse femme avec qui il a voyagé : « Son poids faisait que les chevaux cheminaient très péniblement ; mais, pour leur donner le temps de souffler, elle nous arrêtait souvent, et alléguait quelque nécessité de la nature, et nous disait que nous sommes tous chair et sang. » Il paraît qu’alors ces jolies choses égayaient les dames. Ses lettres sont composées de grosses civilités officielles, de complimens vigoureusement équarris, de révérences mathématiques ; son badinage est une dissertation ; il étaie les bagatelles avec des périodes. Il dit au comte de Rochester, qui l’avait complimenté : « J’éprouve qu’il ne